Alerte à la censure

Circulez, y’a rien à voir !

Fin août, le ministère de l’Intérieur publie en catimini un nouveau texte pour donner un cadre à l’intervention des forces de l’ordre lors de « violences urbaines ». Problème : la protection des journalistes est remise en cause. Récit d’une nouvelle tentative de censure de la liberté de la presse.
De nouvelles entraves au travail des journalistes

Alors qu’à la fin de l’été plane une atmosphère de mobilisation sociale dans tout le pays, le gouvernement mijote lui aussi un mauvais tour. Le ministère de l’Intérieur et la police nationale publient le 31 juillet dernier un Schéma national des violences urbaines (SNVU), sans aucune concertation préalable. Censé fournir un cadre d’intervention aux forces de l’ordre en contexte de « violences urbaines », le document, au statut juridique flou, contient une disposition qui fait sauter au plafond les syndicats de journalistes et les organisations de défense de la liberté de la presse. Il indique que « la prise en compte du statut des journalistes telle que consacrée par le schéma national du maintien de l’ordre ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines ».

« La prise en compte du statut des journalistes ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines »

Le texte « pose problème autant sur la forme que sur le fond, explique Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF). Cette phrase revient à considérer les journalistes professionnels, mandatés pour couvrir les évènements, comme de simples manifestants, voire comme des émeutiers parmi d’autres. C’est extrêmement dangereux, car cela les expose directement aux violences et entrave leur travail ».

Un air de déjà-vu ?

Une première manœuvre contre nos droits fondamentaux ? Que nenni, ils n’en sont pas à leur coup d’essai. La loi « Sécurité globale », en 2021, qui « contenait plusieurs dispositions allant dans le sens de restreindre la visibilité des interventions policières plutôt que de protéger les journalistes sur le terrain », rappelle Thibaut Bruttin. Objet des crispations, le très conversé article 24 de la loi visait à punir la « provocation à l’identification » des forces de l’ordre. En d’autres termes, à empêcher les journalistes de diffuser des images d’interventions policières.

Quelques mois auparavant, en septembre 2020, un travail collectif engagé entre les syndicats, les ONG et la police avait pourtant abouti à la publication du Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO). « Le SNMO nous a apporté quelques garanties », observe Thibaut Bruttin. On y trouve par exemple la reconnaissance de la nécessaire protection du « droit d’informer », ou encore la mise en place de mécanismes comme la désignation d’un « officier référent » chargé d’assurer la liaison avec les journalistes dans les manifestations. La loi « Sécurité globale », adoptée définitivement en mai 2021, marquera une nouvelle tentative de passage en force.

Rester sur le qui-vive
Devant le tollé que provoque la situation, le gouvernement rétropédale le matin même où le jugement doit être prononcé

Dans ce contexte, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et d’autres organisations comme RSF, ne se sont pas faites attendre pour déposer devant le Conseil d’État un référé-liberté à l’annonce de la sortie du SNVU. Cette procédure d’urgence permet de demander au juge de prendre des mesures pour préserver une liberté fondamentale. Devant le tollé que provoque la situation, le gouvernement rétropédale le matin même où le jugement doit être prononcé, le 11 septembre, et décide de republier le document sous le nouveau petit nom de Guide opérationnel des violences urbaines (GOVU) – comme si on était dupes – en supprimant la disposition litigieuse. Pas complètement satisfaits, les syndicats ont également saisi le Conseil d’État sur le fond de l’affaire.

Contacté à ce sujet, le SNJ explique demander à la juridiction de se prononcer sur la dimension attentatoire à la liberté de la presse du document. L’objectif : que le texte « puisse garantir explicitement la protection des journalistes, quel que soit le contexte, afin qu’ils puissent exercer leur mission d’informer ». Pour lui, comme pour les autres organisations de journalistes, l’intention initiale reste problématique et implique de rester vigilants face à ce glissement toujours plus autoritaire. Une façon polie de dire que nous ne laisserons rien passer.

Laëtitia Giraud

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Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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CQFD n°245 (octobre 2025)

Ce numéro d’octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d’actions. Le sociologue Nicolas Framont et l’homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.

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