Faute de données chiffrées, difficile de mesurer l’ampleur du phénomène. Mais pour les deux auteures, aucun doute : au regard de ce qui fait le terreau des violences conjugales, flics et gendarmes ont tout des parfaits clients. Sophie Boutboul et Alizé Bernard rappellent en effet que les « personnes qui travaillent dans un contexte dans lequel elles ont du pouvoir » sont plus enclines aux violences conjugales. Or, c’est le cas des policiers et des militaires qui « représentent l’ordre dans leur quotidien [et dont les] interlocuteurs au travail n’ont qu’une seule possibilité : s’incliner, se soumettre. » [2]
Sans oublier que, d’après la psychiatre Marie-France Hirigoyen, « les comportements violents s’acquièrent par l’observation des autres et se maintiennent s’ils sont valorisés socialement ». Le fait de baigner dans un environnement fortement dosé en sexisme aggraverait donc les risques. Chez les gendarmes, dont l’instruction est dispensée par des militaires de haut rang, « traditionalistes, voire cathos intégristes », on « éduque à exercer des discriminations. Ce qui fait que même des personnes qui ne seraient pas sexistes sont susceptibles de le devenir. » [3] un machisme si fermement arrimé qu’on peut encore croiser, accrochées au mur de certaines casernes, des plaques au message glaçant : « Les chiens sont acceptés, les femmes sont tolérées. »
Rappelant que « plusieurs rapports et livres se penchent sur le profond “malaise” ressenti par les membres des forces de l’ordre », Sophie Boutboul interroge : pourquoi n’y a-t-il rien « sur celui de la personne qui partage leur vie » ? La question est épineuse : prendre le problème à bras le corps exigerait de lever le voile sur « un système impliquant la complicité de certains collègues, d’une partie de la hiérarchie, de l’institution et même de la justice ». Des plaintes déposées qui finissent à la poubelle, des clés USB remplies d’enregistrements de menaces de mort rendues vides à leur propriétaire ou encore des lettres adressées à l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale) qui se retrouvent entre les mains des accusés : sous la plume de Sophie Boutboul, les exemples de corporatisme crasse s’accumulent.
Même topo du côté de la justice. Comme l’explique la journaliste, certains procureurs ne se donnent même pas la peine de dépayser l’affaire et confient aux collègues du prévenu la charge de mener l’enquête. Dans d’autres cas, des agents incriminés écopent de simples rappels à la loi prononcés dans des tribunaux vides, en milieu de soirée, histoire de s’assurer que l’affaire ne fera pas trop de bruit.
En plus des histoires glanées dans la presse régionale, des témoignages de policiers, de militaires, de magistrats, de psys et de chercheurs, l’enquête de Sophie Boutboul et Alizé Bernard restitue la parole de dizaines de femmes qui « nous invitent dans l’intimité de leur foyer et reviennent dans les bureaux étroits de commissariats ou de gendarmeries où elles ont tenté de déposer plainte, parfois en vain ». De quoi faire gamberger la secrétaire d’État Marlène Schiappa qui, au sortir du Grenelle des violences conjugales, confiait être favorable à la confiscation, dès la première plainte, des armes à feu détenues par les auteurs desdites violences. Un bon moyen de désarmer la police.
[/Tiphaine Guéret/]