Edito du n°232

Cerné·es mais pas défait·es

Illustration de Marine Summercity

Peu importe nos gorges nouées et nos yeux bouffis. Alors qu’on écrit cet édito au lendemain du désastreux premier tour, et qu’il sera dans les kiosques avant qu’on ne sache si la catastrophe s’est totalement écrasée sur nous, on garde la niaque.

Il faut bien, parce que, quel que soit le résultat, il va y avoir du taf. Avec les fachos au pouvoir, il y aura la colère et la peur. Avec l’imbécile ultralibéral, à peine moins raciste, aussi. Même avec les autres, il y aura l’exaspération (Hollande & Co, ni oubli ni pardon). Et toujours des tonnes de choses à dire, à détruire, à dénoncer, à faire persister et à inventer. Soyons clair·es : on n’aime ni l’État, ni le pouvoir, ni ses cercles délétères. On n’aime pas non plus la charité et ses relents catho. Mais ce à quoi on croit n’a pas changé : faire les choses par en bas et à l’horizontale. C’est en tout cas ce que défendent nos petits mondes d’extrême gauche, des anars aux trotskos. Faire vivre quelque chose qui a un minimum de sens, et transformer nos colères en organisations vénères et solidaires.

Alors, oui, la rue. On y compte bien et s’agirait pas de la laisser aux fachos. Mais il y a tellement plus. Il y a les groupes de Legal team, qui accompagnent les victimes de la répression. Il y a celles qui organisent des crèches pour que les parents puissent marcher à nos côtés. Il y a les millennials qui font des stories insta pour toucher ailleurs, pour alerter, pour convaincre. Il y a nos copaines qui n’ont ni le bon nom ni les bons papiers, à côté de qui on essaie, comme on peut, de lutter. Il y a celles et ceux qui sortent la nuit, en espérant qu’un collage ou quelques lettres sur un mur feront un déclic. Qui parcourent les rues avec du matériel de réduction des risques, qui plantent des stands dans les rave parties et les lieux de défonce, pour apaiser nos excès. Celles et ceux qui vont rencontrer les familles et les proches des prisonnier·es devant les taules, en attendant de s’attaquer aux murs et aux pierres. Qui bloquent des facs, des lycées, des écoles, des usines. Qui épluchent des essais pour penser demain. Qui tirent des feux d’artifice. Qui répètent aux minots postés en bas du bloc qu’autre chose existe, loin des tours. Celles et ceux qui se font écrivain·es publiques pour que d’autres puissent réclamer leur caillasse à l’État, qui tiennent les permanences syndicales, qui amènent un thermos sur les piquets de grève, qui chouffent devant nos futurs centres sociaux autogérés, pour que le squat puisse exister.

Alors à tous·tes celles et ceux qui ne savent plus, ou n’osent pas, ou n’y croient pas vraiment : notre rage est notre moteur, et n’empêche pas la joie, les élans, les amours. Le pain sur la planche est carrément rassis. Il s’agit d’affûter le couteau, et de scier tant qu’on peut, jusqu’à que ça s’écroule.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°232 (juillet-août 2024)

Dans ce n° 232, un méga dossier spécial « Flemme olympique : moins haut, moins vite, moins fort », dans l’esprit de la saison, réhabilite notre point de vue de grosse feignasse. Hors dossier, on s’intéresse au fascisme en Europe face à la vague brune, on découvre la division des supporters du FC Sankt Pauli autour du mouvement antideutsch, on fait un tour aux manifs contre l’A69 et on découvre les Hussardes noires, ces enseignantes engagées de la fin du XIXe, avant de lire son horoscope, mitonné par le professeur Xanax qui fait son grand retour !

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Paru dans CQFD n°232 (juillet-août 2024)
Dans la rubrique Édito

Par L’équipe de CQFD
Illustré par Marine Summercity

Mis en ligne le 15.07.2024