Antiterrorisme : La traque des « pas-Charlie »

Le lundi 12 janvier (2015) au journal de France 2, la journaliste de service public, Nathalie St-Cricq avait tonné  : « Il ne faut pas faire preuve d’angélisme. C’est justement ceux qui “ne sont pas Charlie” qu’il faut repérer […] ce sont eux que nous devons repérer, traiter, intégrer ou réintégrer dans la communauté nationale. » Face au slogan et à l’élan spectaculaire du « Je suis Charlie », pas toujours motivé par la tolérance et le deuil, le « Je ne suis pas Charlie » marqua pour certains l’expression d’un rejet de l’union nationale obligatoire. Dans le lot, il y eut certes de la provocation bien rance avec le « Je suis Charlie Martel » de Jean-Marie Le Pen et le « Je me sens Charlie Coulibaly » de son pote Dieudonné. Il y eut aussi pas mal de commentaires du type : « Les dessinateurs de Charlie l’ont quand même un peu cherché en caricaturant le Prophète », justifiant «  quand même un peu » le recours à l’exécution sommaire en cas de blasphème. Mais il y eut surtout une défiance populaire face à la grande messe quasi orwellienne, qui indifféremment convoquait d’odieux chefs d’état, acclamait la police, excitait parfois les discours et les actes antimusulmans et justifiait in fine l’installation de mesures liberticides inédites. Car, face à ce que Le Monde définissait en une et en lettres capitales le 9 janvier comme « LE 11 SEPTEMBRE FRANÇAIS », il fallait un Patriot act à la sauce hexagonale.

Depuis la loi du 14 novembre 2014, la lutte antiterroriste incluait déjà la poursuite de l’apologie du terrorisme, considérée comme un délit aggravé. Le 12 janvier, les consignes de fermeté ont été données aux parquets par une circulaire visant à combattre « les propos ou agissements répréhensibles, haineux ou méprisants, proférés ou commis en raison de l’appartenance à une religion1 ». Fin janvier, Le ministère de la Justice dénombrait 399 procédures pénales ouvertes depuis l’attaque du 7 janvier.

Les collèges et lycées des quartiers populaires, de même que les réseaux sociaux, firent alors l’objet d’une attention particulière et l’on y traqua les propos « déviants ». Le 28 janvier, sur le site dalloz-actualite.fr, l’avocat connu sous le pseudonyme de Maître Eolas pointait du doigt l’explosion du nombre de procédures – 150 en deux semaines, « alors qu’en 20 ans, seules 20 condamnations avaient été prononcées pour ce délit » –, et la lourdeur des peines prononcées « jusqu’à deux ans ferme avec maintien en détention à Marseille ». Pourtant, « quelques tribunaux semblent avoir résisté, prononçant des relaxes (Montpellier, Saint-Malo) ou des peines légères assorties du sursis ».

Plus d’une vingtaine de peines de prison ferme se sont abattues sur des personnes qui ont tenu des propos exaltés, souvent stupidement provocateurs, assimilés à une apologie du terrorisme. Des enfants de 8-10 ans furent convoqués par la police pour des phrases… bêtement infantiles. En quelques jours, des milliers de messages inappropriés sur les réseaux sociaux étaient signalés aux services de police sur le portail du ministère de l’Intérieur. « Un lycéen a déjà été condamné vendredi à un an de prison avec sursis et 210 heures de travaux d’intérêt général pour avoir salué le massacre », signalait L’Humanité, le 12 janvier.

Quelques défenseurs des droits se sont pourtant bien inquiétés du concept flou d’apologie du terrorisme, parmi lesquels Amnesty international : « La liberté d’expression ne doit pas être réservée à certains. L’heure n’est pas à l’ouverture de procédures inspirées par des réactions à chaud, mais bien plutôt à la mise en place de mesures réfléchies qui protègent des vies et respectent les droits de tous. » (FranceTVinfo, 17 janvier 2015) Cause toujours.

Parmi les dernières condamnations en date, le 23 juin dernier, Taffik Kaplan, déjà incarcéré à la maison d’arrêt de Compiègne, s’est pris deux mois de rab’ pour avoir proféré « Je vais tuer des Français », « Les terroristes ont raison » dans un couloir de la taule. Tu la boucles ou on te boucle.

Suite à notre demande de statistiques, le ministère de la Justice a répondu qu’il ne communiquera ses chiffres qu’en octobre 2015. Pas sûr que la psychose ne redescende au vu de la vague d’attentats du 27 juin et de la sortie de Manuel Valls sur « la guerre de civilisation ».


1 En principe, cette circulaire vise donc aussi à punir les actes antimusulmans qui explosent de 500 % durant le premier trimestre 2015 par rapport à 2014, soit 222 actes (56 actions et 166 menaces) recensés mi-avril. Un article de David Perrotin sur Rue 89 notait le « deux poids deux mesures » entre la sévérité des poursuites à l’encontre des personnes coupables d’apologie du terrorisme et la relative mollesse de celles réprimant les actes islamophobes.

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