Dossier : Rumeurs de Guerre
American Sniper : Kill them all
Le film raconte l’histoire de Chris Kyle, depuis son engagement dans les Navy Seals jusqu’à sa mort sur un stand de tir texan. Le cœur de l’histoire : ses quatre séjours en Irak au cours desquels il aurait aligné 160 combattants ennemis avec son fusil.
Ce bidasse d’élite a hérité du surnom « The Legend » pour ses faits d’armes et serait le plus meurtrier des snipers de toute l’histoire américaine. On a les titres de gloire qu’on mérite… Tant pis si Chris Kyle s’est révélé être un affabulateur, prétendant par exemple avoir été envoyé à la Nouvelle-Orléans à la suite de l’ouragan Katrina pour « sniper » ceux qui se livraient au pillage. Eastwood, qui a réalisé le film en prenant garde à ne pas heurter la famille du sniper, ne s’attarde pas sur les aspects sombres de la personnalité de Kyle. Il en livre un portrait taillé d’un seul bloc : un type bien, un héros aux valeurs simples et justes (« Dieu, ma famille, mon pays »).
Le récit d’Eastwood ne fait pas dans le détail. Inutile pour lui de revenir sur le contexte ayant entraîné l’invasion de l’Irak par les forces US : son héros voit les tours du Wall Trade Center s’effondrer à la télé, puis est directement plongé dans la bataille de Falloujah. Et voici la guerre justifiée aux yeux du spectateur : ne s’agit-il pas de venger les victimes du 11-septembre ? Pendant une bonne partie du film, le héros tue – c’est son métier. Et il ne se trompe jamais de cible. Même quand il tue un gamin, c’est mérité. Ses victimes n’ont pas de nom, pas d’histoire : elles ne sont présentées que comme des faire-valoir au talent du héros. D’ailleurs, Chris Kyle – le vrai, pas celui présenté dans le film – qualifiait affectueusement les Irakiens de « sauvages ». Pourquoi tenter de donner corps à des protagonistes qui ne sont que des cibles ?
Le film veut nous faire comprendre que les vraies victimes du conflit sont les troufions américains : blessés physiquement et moralement, ils ont payé un lourd tribut à la guerre. Et on voit parfois le héros un peu hagard, ayant du mal à renouer avec la vie civile quand il rentre en perm’ auprès de sa famille. Mais même dans ce domaine, Eastwood échoue à livrer un récit convaincant. Sylvester Stallone traduisait mieux le mal-être des vétérans rentrés du Vietnam dans le premier Rambo, c’est dire...
Qu’un film de guerre aussi manichéen puisse rencontrer un tel succès commercial (il a battu un certain nombre de records aux États-Unis) en dit long sur le lavage de cerveaux à l’œuvre. Pourtant, l’industrie cinématographique américaine a livré des choses plutôt intéressantes sur la guerre en Irak. La médaille revenant certainement à Generation Kill, une minisérie réalisée par l’équipe de la série The Wire. Là, pas de héros, pas de drapeaux flottants au vent ni de musique grandiloquente : juste une bande de marines venus faire le job sans enthousiasme ni illusion, souvent écœurés par le rôle qu’on leur fait jouer. On y voit ce que le film d’Eastwood se garde bien de montrer : les réfugiés, les victimes civiles et la connerie militaire.
Outre les cerveaux des spectateurs, American Sniper aura fait une dernière victime collatérale : le mardi 24 février, Eddie Ray Routh, l’homme qui a tué Chris Kyle, a été condamné à perpétuité par les juges de Stephenville (Texas). Ancien marine souffrant de stress post-traumatique, Ray Routh avait fait l’Irak et abattu Kyle à un stand de tir en février 2013. Sûrement jaloux de son palmarès.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°130 (mars 2015)
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Paru dans CQFD n°130 (mars 2015)
Dans la rubrique Le dossier
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Mis en ligne le 04.05.2015
Dans CQFD n°130 (mars 2015)
4 mai 2015, 09:45
Bonjour,
Pour la comparaison avec Rambo. La différence qualitative ne viendrait-elle pas simplement du talent d’écrivain de David Morell ? (Même si Stallone est très convaincant).
American sniper n’est qu’un outil de propagande pour justifier la présence américaine en Irak auprès des "masses ignorantes". Alors que l’Irak n’est pour rien dans les attentats du 11/09 !... Par contre pour l’Arabie Saoudite, Qatar & Co, c’est autre chose, mais là, au contraire, ce sont les alliés des USA.
Ca est bizarre, non ?...
PP