Dossier : Rumeurs de Guerre

La paix, c’est la guerre !

Les rumeurs de paix se font rares ces derniers temps. « Nous sommes en guerre », répètent en boucle chroniqueurs du désastre et fantassins de la démocratie. Mais cette rhétorique belliqueuse est-elle vraiment nouvelle ? Après la guerre froide et ses cadavres chauds en périphérie des blocs  ; après la « guerre contre la drogue » décrétée par Nixon en 1971, dont ses instigateurs admettent communément aujourd’hui qu’elle est perdue ; après « la guerre contre le terrorisme », officiellement abandonnée en 2013 par Obama puis recyclée au profit du terme plus vague de « overseas contingecy operations » ; après « la guerre contre la piraterie » qui s’est ouverte en Somalie en 2008 ; nous sommes désormais mobilisés « contre la barbarie » et « l’islamo-fascisme ». Les exactions criminelles de groupes djihadistes comme Daech et Boko Aram alimentent cette interminable chasse aux bad guys qu’on adore haïr.

Par Thierry Guitard.

En même temps que ses contours se font de plus en plus flous, la guerre est un phénomène qui se propage partout et devient permanent. Malgré la promesse de désengagement au sol en Irak et en Afghanistan, la stratégie militaire américaine s’inscrit dans la continuité de cette guerre sans fin, à la reddition introuvable, commencée après le 11-septembre ainsi que dans le prolongement des guerres coloniales contre des combattants « irréguliers ». Comme le note l’historien Elie Tenenbaum dans l’ouvrage collectif Nouvelles guerres, L’état du monde 2015 (La Découverte), les guerres irrégulières de notre siècle viendraient rompre avec celles du XIXe et XXe siècles dans la mesure où elles participeraient bien plus à l’affaiblissement de l’état-nation qu’à sa structuration. Les nouveaux acteurs des conflits actuels – comme les milices armées ou les cartels de la drogue – ne visent pas à prendre les rênes de l’état légal auquel ils se sont largement substitués. Dans le même ouvrage, le chercheur Laurent Gayer prolonge l’observation en soulignant que derrière le chaos apparent des guerres irrégulières se met en place une « économie politique du désordre », impliquant un ordre émergent ainsi que de nouvelles souverainetés fragmentées. Et de citer les exemples à Karachi d’un grand groupe industriel qui a fait appel à une milice djihadiste contre des syndicalistes, ou de celui du business florissant des assurances et de l’industrie du risque consécutif à la guerre à la piraterie. On pense également à la gestion des flux de barils irakiens par Daech ou aux cartels de la drogue au Mexique, dont les bénéfices sont évidemment reversés dans les flux financiers mondiaux. En somme, la guerre n’est pas seulement la continuation de la « politique par d’autres moyens », selon la formule de Clausewitz, mais aussi celle de « l’économie par d’autres moyens ». En attendant le déclenchement de véritables petites guerres privées entre multinationales agissant au grand jour par le biais de nouveaux ou bien rodés entrepreneurs en mercenariat pour accéder à des ressources toujours plus rares ou pour emporter davantage de parts de marché.

L’effacement de la distinction entre sécurité intérieure et sécurité extérieure – rendu clairement visible avec les déploiements de bidasses aux quatre coins de l’Hexagone – au profit d’un très vague et donc très large concept de sécurité globale promet les plus graves atteintes à ce qui nous reste de garanties des libertés publiques ou de promotion du droit international. L’usage de la force et de moyens irréguliers se veut décomplexé  : surveillance généralisée de tous nos faits et gestes via logiciels espions ou caméras au nom de la sécurité, assassinats ciblés (targeting) par drones interposés au nom de l’efficience, interventions au sol sous-traitées à diverses forces armées, étatiques ou non (proxy wars), au nom du zéro mort dans le camp occidental.

Tout fonctionne comme si, n’ayant pu réussir à conquérir les cœurs et les esprits à l’aide des colifichets de la démocratie de marché, les USA cherchaient désormais à affirmer une puissance accablante, suscitant choc, effroi et résignation chez l’imprudent adversaire. Mais cette stratégie semble déjà rencontrer de nombreuses limites  : aggravation des troubles politiques dans les zones cibles de l’intervention US, dissension interne à la société américaine, « falaise » budgétaire…

Enfin, les rivalités interétatiques, soit le modèle classique ou westphalien des guerres, pourraient connaître un spectaculaire regain étant donné l’envolée des dépenses militaires chez les puissances émergentes ou plutôt ré-émergentes, les « grands » jeux d’influence turc, iranien et saoudien au Moyen-Orient, les appétits russes quant aux bas ou nobles morceaux de son empire démantelé. Tout cela dans un contexte de prolifération nucléaire toujours non maîtrisée qui place l’humanité à quelques dizaines de secondes de l’Apocalypse. Le pire n’est jamais certain mais…

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1 commentaire
  • 23 avril 2015, 20:39

    Devinette : depuis leur indépendance, combien d’année de leur histoire les Etats-Unis n’ont-ils pas mené de guerre à l’étranger ? On peut faire le compte en lien, ça doit pas faire bien lourd. Ils sont fous, ces Romains !

    https://mecanoblog.wordpress.com/20...