Florange

Acier trompé

Sauver le Made in France, qu’ils disaient ? Les métallos en grève de Florange voient défiler sans illusion les candidats en campagne. Mais ils ont des idées : « ArcelorMittal a racheté Gandrange pour un euro. Nous aussi, on a un euro : on le lui donne ! » Chiche ?

« Nous allons être le cauchemar du gouvernement », promettaient dès le début de l’année les sidérurgistes de Florange, une des dernières villes industrielles du bassin lorrain. Au chômage technique depuis novembre, ils ne croient plus aux propos de leur taulier, ArcelorMittal, qui parle d’une réduction temporaire d’activité dans l’attente de beaux lendemains en acier. Pour eux, l’affaire est pliée : derrière les propos évasifs de la direction, c’est la fermeture de ces derniers hauts-fourneaux qui est programmée. Réunis en intersyndicale, les organisations ouvrières ont donc décidé, à partir du 20 février, de passer à l’action. Occupation des locaux de la direction, arrêt des expéditions, barrages à l’entrée des bâtiments administratifs, blocage total du site et des liaisons ferroviaires… « Pour décider de ces actions, on se réunit en intersyndicale puis on présente les propositions lors des assemblées générales qui ont lieu dans la salle du conseil d’administration ou dans une salle que nous prête la mairie. Les décisions sont votées à main levée », précise à CQFD Michel, un syndicaliste de la CFDT. « Le problème est que Mittal fait ce qu’il veut. Il parle de baisse de la demande d’acier pour justifier l’arrêt des hauts-fourneaux. C’est faux. Nous savons que sur les sites de Brême en Allemagne et de Gand en Belgique, les gars sont sous pression. Ces hauts-fourneaux tournent à 98 % de leur capacité. Ce qui exige un travail énorme. Cette activité, intensive et dangereuse pour le personnel comme pour les installations, devrait être partagée avec les autres sites. Tout le monde aurait du travail, et les collègues allemands et belges pourraient souffler », poursuit un responsable de la CFDT.

Au moment où ArcelorMittal ne cesse d’évoquer une baisse de la demande qui provoquerait la réduction de la production, il a reconnu avoir acheté 60 000 tonnes de brame – pavé d’acier de vingt à trente centimètres

par Placid

d’épaisseur – à la société russe Severstal. « Avec l’acier russe, il peut gagner de l’argent sans investir. Il crée un climat qui laisse croire que l’acier est rare : ce qui lui permet d’en augmenter le prix. Même s’il étrangle ses clients, notamment ceux du secteur automobile, cela ne lui pose pas problème puisque le but n’est qu’à court terme : celui d’engranger des bénéfices. Le futur n’a pour lui aucune importance », précise un membre du comité d’entreprise. Côté chiffres, la démonstration est sans ambiguïté : en 2011, les revenus d’Arcelor ont augmenté de 20 %, grâce essentiellement à la hausse artificielle des prix. Le 7 février 2012, le titre de cette entreprise présentait le meilleur score du Cac 40… C’est grâce à cette logique strictement financière qu’ArcelorMittal, tout en promettant un hypothétique futur, s’engage dans la voie de l’abandon de son site de Florange, entraînant la mise au chômage de plus de 5 000 salariés, et impactant la vie de plus de 20 000 personnes dans la région. La solution ? « Il faut faire une loi qui interdise le départ d’un industriel tant qu’aucun repreneur n’a été trouvé. Il doit laisser en l’état l’outil de travail. À l’État, en lien avec les entrepreneurs et les partenaires sociaux, de faire appliquer cette loi. Pour ce qui nous concerne Tatasteel et Thysenkrup pourraient être intéressés », avance le gars de la CFDT du comité d’entreprise. Fabrice, secrétaire de la CGT, balaie d’un revers de main cette proposition de loi : « Il faut des droits nouveaux au sein même des comités d’entreprise. Les salariés doivent avoir véritablement la parole, pouvoir dire “non” et que leurs avis aient un vrai poids. Mittal a racheté Gandrange pour un euro. Nous aussi, on a un euro : on le lui donne. Il y a des gens parmi nous qui savent administrer des villes, et nous pouvons aussi gérer une entreprise. Ce sont les ouvriers qui ont organisé la Sécu en 1945… » En cette période de mendicité électorale, la valse des candidats sur leur site laisse les sidérurgistes de marbre. « On est sympas. On les reçoit et on discute tant qu’ils répondent à nos questions. Tout va bien tant qu’ils ne cherchent pas à nous récupérer », explique Michel. « Quant à Sarko, s’il vient par ici… »

Le 27 février, le Président des riches avait annoncé avec fracas que l’État allait « mettre sur la table 150 millions d’euros pour sauver Florange » afin de permettre sur ce site le développement du projet Ulcos, dispositif destiné à récupérer puis enfouir le CO2 produit par les hauts-fourneaux. Le mauvais camelot s’était pris alors les pieds dans le tapis avec son mensonge à deux coups. Cette annonce d’apport de fraîche datait de plusieurs mois, et s’inscrit dans le processus de mise en conformité avec les règles environnementales européennes. Et surtout, le bonimenteur avait zappé le fait qu’une telle perspective est forcément liée à l’activité des hauts-fourneaux, et donc à l’émission de CO2, sans laquelle l’ensemble du projet est nul et non avenu. Pas bégueule, il n’aura pas hésité à récidiver le 1er mars en sortant une nouvelle liste de millions d’euros, s’engageant même au nom de monsieur Mittal lui-même à une reprise de l’activité au second semestre 2012, promesse démentie dans l’heure par l’industriel indien. Mais qu’importent les gesticulations d’un personnage mis aujourd’hui sous les feux de la rampe du pouvoir et des élections, avant qu’un autre ne lui succède ! « De toute façon, c’est tout le système qui est pourri. Tout cela, ce ne sont que des bouts de ficelle. À croire qu’on ne va pas pouvoir échapper à une révolution », confie un syndicaliste CGT de Florange…

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Paru dans CQFD n°98 (mars 2012)
Par Gilles Lucas
Illustré par Placid

Mis en ligne le 25.04.2012