Lagardère, Dassault, Bouygues, Pinault-Printemps-Redoute, Bolloré… De grands groupes industriels ? Certes. Mais aussi, et surtout, les propriétaires de nombreux médias français. Des patrons de presse qui « exercent leur pouvoir sur [leurs journaux] », comme l’admet sans rechigner le taulier de l’hebdomadaire des grands-pères, Franz-Olivier Giesbert, dans le documentaire Les Nouveaux chien de garde [1].
Les réalisateurs, Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, ont eu la gentillesse d’organiser une séance de rattrapage pour ceux qui auraient omis de lire le bouquin éponyme de Serge Halimi paru en 1997 [2]. Un opuscule qui avait provoqué, en son temps, quelques remous dans le cloaque médiatique. Le postulat de base est bien connu des lecteurs d’Action critique médias (Acrimed) et de feu Le Plan B : « Les médias se proclament “contre-pouvoir”. Pourtant, la grande majorité des journaux, radios et des chaînes de télévision appartiennent à des groupes industriels ou financiers intimement liés au pouvoir. […] Aujourd’hui, les chiens de garde, ce sont ces journalistes, éditorialistes et experts médiatiques devenus évangélistes du marché et gardiens de l’ordre social. » Des propos étayés par de nombreuses images d’archives joliment mises en scène dans un salon évolutif. Devant tant de compromissions éhontées, le spectateur ne peut que rire… jaune. Partageant « les mêmes valeurs, les mêmes amitiés, le même mode de vie », comment journalistes vedettes, hommes politiques et grands patrons pourraient-ils avoir des intérêts divergents ?
La proximité est telle que nombre de stars des médias s’abreuvent directement à la source des grands groupes industriels, toute honte bue. Dans leur jargon, l’on appelle cela « faire des ménages », ou comment rentabiliser sa notoriété en facturant des animations de colloques ou autres assemblées générales. Isabelle Giordano, par exemple, a « fait un ménage pour la société de crédit à la consommation Sofinco, et a invité le directeur de la communication de cette société dans son émission de défense des consommateurs, Service public, sur France Inter. » « La différence, c’est l’indépendance », comme dit le slogan.
Les réalisateurs règlent aussi leur compte aux « experts » – Alain Minc, Michel Godet, Daniel Cohen,… – qui monopolisent les médias depuis tant d’années pour « prêcher les thèses de l’économie néolibérale ». Ils sont toujours présentés sous leur étiquette la plus respectable, mais « le spectateur regarderait tout autrement un brillant économiste universitaire s’il savait que cet économiste est largement rétribué par les banques, les assurances, et les sociétés privées comme administrateur. C’est-à-dire au centre de la gestion de ces entreprises, explique l’économiste Jean Gadrey. Comment rester indépendant quand on est totalement inséré dans des réseaux de milieux d’affaires ? »
Non sans avoir épinglé les faux impertinents récupérés, tels Michel « Bigoudis » Field et Philippe « Prognathe » Val, le documentaire s’attaque à la représentation médiatique des quartiers populaires. Il est rappelé qu’à chaque révolte – en banlieue ou dans des usines –, la presse aux ordres s’égosille en appels au calme. Michel Naudy, ancien journaliste à France 3 et co-fondateur de l’hebdo Politis, s’interroge : « Est-ce qu’on admet que, à l’illégitimité de l’exploitation, du mépris que l’on impose [aux classes populaires] peut correspondre la légitimité de la violence qui peut exister dans leur révolte ? Tout est là. Il est une violence symbolique légitime pour monsieur Pujadas. Il est une violence physique, collective, illégitime pour monsieur Pujadas. La ligne de partage se fait, excusez-moi de l’archaïsme du mot, selon des intérêts de classe. » Il complète : « Pour les journalistes, les classes populaires, c’est une réserve d’indiens, ils ne les connaissent pas, ils ne viennent pas de ces milieux. »
Pour parler clair et en toute transparence, ce film n’est-il pas un plaidoyer pour la presse faite par des gueux, pour la plèbe ? CQFD.