Ecole inclusive : scolarisation à deux vitesses

À l’école , l’inclusivité à la ramasse

L’inclusion des élèves porteur·ses de handicap au sein de l’école ordinaire a beau être obligatoire depuis 2005, les enfants concerné·es et leur famille, tout comme les enseignant·es et professionnel·les de l’Éducation nationale, font état d’un manque de moyens qui les mine.
Une illustration de Jeanne Pieson

Dans les rues de Marseille en ce 1er février, c’est jour de manifestation intersyndicale pour l’Éducation nationale. Un groupe chantonne une mélodie enfantine : «  L’inclusion oui, oui, oui, sans moyens, non, non, non  ». Des mots simples qui résument une réalité complexe : la sensation de l’échec d’une mission de l’Éducation nationale : « Accueillir partout tous les élèves sans distinction d’aucune sorte et être ambitieux pour chacun1 ». On le sait, l’école est en crise, et parmi les défis auxquels elle fait face depuis plusieurs années, les conditions de l’inclusion des élèves porteurs et porteuses de handicap, insoutenables dans certains établissements. Dans des classes déjà surchargées, face à des encadrant·es dépassé·es, ce que les institutions se targuent d’appeler « l’école inclusive » semble en train de craquer, mettant en difficulté aussi bien les enfants que les familles et les professionnel·les de l’éducation.

Mal-être de tous côtés

La scolarisation des élèves porteurs et porteuses de handicap en milieu ordinaire est un droit pour tous·tes depuis 2005 : c’est en priorité à l’école, avec les autres enfants, qu’ils et elles doivent légalement être intégré·es. En 20 ans, le nombre d’élèves dans cette situation a triplé, pour atteindre 430 000 l’année dernière, principalement du fait d’une meilleure reconnaissance du handicap. Mais loin des chiffres nationaux mis en avant par le gouvernement, la réalité est contrastée.

Rembobinons. Pour que l’école intègre leur enfant en situation de handicap, les familles font face à un véritable parcours du combattant. Il faut déjà qu’un diagnostic soit posé, souvent après une longue errance, avant de monter un dossier argumenté auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), pour enfin recevoir une notification de l’aide attribuée, parfois après une longue attente. « C’est un système embolisé. Les MDPH ont été calibrées par la loi de 2005, mais sans tenir compte de l’augmentation due à l’élargissement de la reconnaissance du handicap », explique Emmanuel Guichardaz, de Trisomie 21 France, une association membre du collectif Ma place est en classe, qui milite pour que l’école s’adapte aux élèves aux besoins particuliers. Et les inclusions en milieu ordinaire sont souvent partielles2 : les élèves en situation de handicap n’ont parfois droit qu’à quelques heures dans certaines matières, ou intègrent l’école en demi-journée. « Au collège, mon fils était inclus en musique, un peu en sport. Et quand il a fallu renoncer à l’école ordinaire, c’était un déchirement  », explique Hélène, qui travaille comme accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) et dont l’enfant est porteur de troubles du neurodéveloppement. Autre alternative, que l’élève soit placé·e en Unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis), un dispositif intégré au sein des établissements ordinaires. Les effectifs y sont réduits et l’élève peut bénéficier de l’encadrement d’un·e enseignant·e formé·e au handicap en plus des temps d’inclusion dans sa classe de référence.

L’éternel manque de moyen

Mais dans les salles de classe, tout n’est pas rose. Peu formé·es aux multiples enjeux du handicap, les enseignant·es sont parfois démuni·es et ne parviennent pas à répondre aux besoins particuliers de ces élèves. «  J’ai déjà dû fermer la porte de ma salle à clé pour empêcher un élève en crise de s’enfuir, confie une professeure d’un collège marseillais. Parfois, on se sent poussé·es dans nos retranchements », poursuit-elle, non sans avoir d’abord affirmé que tous·tes ont leur place à l’école. « Il y a aussi les cris, les incompréhensions. Mais surtout la sensation que ce qu’on peut apporter à ces élèves est insuffisant  », soupire une autre, enseignante en élémentaire. Même impasse sur les temps périscolaires : « Déjà qu’on est en sous-effectifs, on se retrouve à exclure de fait les enfants extra-ordinaires, en les mettant à l’écart avec un coloriage », déplore Jahnissa, animatrice dans une école primaire montpelliéraine.

Dans cette pénurie de moyens, c’est la mise en place d’une aide humaine qui vient œuvrer comme mesure compensatoire du handicap. C’est le rôle des AESH : «  On est là pour recentrer l’élève, lui réexpliquer les consignes, parfois prendre les notes », détaille Gina, AESH à Marseille. Les heures d’accompagnement sont attribuées aux élèves en fonction de leurs besoins, sur décision d’une équipe pluridisciplinaire d’évaluation, de manière individualisée ou mutualisée pour plusieurs élèves d’une même classe.

Si le nombre d’équivalents temps plein a augmenté ces dernières années, et le salaire revalorisé de 10 % à la rentrée dernière, le métier reste difficile et mal rémunéré, rarement au-dessus des 1000 euros pour des postes généralement en temps partiel. La mise en place des Pial, (Pôles inclusifs d’accompagnement localisés) en 2019, qui mutualisent les AESH à l’échelle d’un territoire semble avoir empiré les choses : « J’ai déjà dû lâcher un élève, que je suis habituellement, pour aller faire une matinée de remplacement dans un autre établissement  », explique Hélène. Ces professionnelles font pour la plupart le constat de s’être formées en autonomie, sur leur temps personnel, et déplorent des fiches de postes trop limitées : « Il y a une grande partie d’accompagnement à la sociabilité, de lien avec les parents, qui n’est pas prise en compte  », explique Olivia, AESH pendant sept ans à Tarbes.

Inclure tout le monde, mais pas pareil

De leur côté, les familles déploient ce qu’elles peuvent pour soutenir leurs enfants, ce qui laisse une grande place aux déterminismes sociaux. « Seules les séances d’orthophonie sont remboursées. Pas l’ergothérapeute ni le suivi psychologique  », rappelle Cathy, mère d’un garçon scolarisé en quatrième et atteint de troubles de l’apprentissage.

Selon le handicap et le profil des élèves, la scolarité à l’école ordinaire s’avère dans certains cas impossible. Ce que résume Renée, coordinatrice d’Ulis en lycée professionnel : « Même en adaptant l’enseignement, la condition de l’inclusion, c’est la posture d’élève. Les élèves doivent être intégrés. Sauf que le système a ses limites  ». Il faut alors trouver une place dans des instituts médico-éducatifs (IME) où l’accès à des soins spécialisés et pluridisciplinaires est facilité. « Certains de mes élèves attendent depuis 7 ans une place dans ces structures, où ils seraient mieux accompagnés », se positionne Léa, coordinatrice d’Ulis. « Les IME ne doivent pas être la voiture-balai qui récupère les élèves dont l’Éducation nationale ne veut pas », affirme pour sa part Emmanuel Guichardaz, pour qui « institution » est synonyme d’exclusion. Et quand l’inscription ou le « maintien à l’école » est impossible, sans place en structure médico-sociale, les élèves sont privé·es de scolarité.

Pour pouvoir mettre en place des écoles vraiment inclusives, un changement de fond semble nécessaire, peu compatible avec une école qui trie et qui met en compétition. Le « choc des savoirs » orchestré par l’ex-ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal pourrait bien empirer la situation. « Le risque des groupes de niveau basés sur la performance scolaire [promus par Attal], c’est de créer une relégation à l’intérieur de l’école qui affectera les élèves en difficulté sur les apprentissages », s’inquiète Emmanuel Guichardaz. Celles et ceux qui accompagnent les élèves porteur·ses de handicap au quotidien ne disent pas autre chose : « Pour une inclusion réussie, il faudrait des classes organisées autour d’ateliers, des groupes que l’on n’oblige pas à s’asseoir, des casques pour atténuer le bruit, des paravents  », énumère Olivia. Mais surtout, du personnel plus nombreux et mieux formé – et plus de pluridisciplinarité, pour apporter à l’école les compétences du secteur médico-social, sans parler des investissements matériels dans des outils pédagogiques et des espaces adaptés. Si on veut, un jour, que l’école soit capable d’inclure tout le monde, peut-être faudrait-il y mettre les moyens ?

Par Léna Rosada

1 Selon les mots du communiqué intersyndical appelant à la grève du 1er février.

2 Quand elles ont lieu. Selon l’Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés, en septembre 2023, environ 23 % des élèves en situation de handicap suivis par leur réseau d’association ne seraient pas du tout scolarisés.

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