Basket féministe
À Marseille, les Panthers dribblent l’islamophobie
Pour soutenir les Marseille Panthers, quelque 250 personnes sont réunies ce samedi 11 janvier au Gyptis1, un cinéma du quartier populaire de la Belle-de-Mai (3e arrondissement de Marseille). Depuis deux ans, le club de basket est la proie de l’islamophobie de certains publics hostiles au port du voile. « On entend des “Rentre chez toi !” », raconte Justine*, joueuse du club.
« 1 500 euros d’amende pour avoir laissé jouer deux filles voilées »
La Fédération française de basket-ball (FFBB) n’est pas en reste. « Elle nous a mis 1 500 euros d’amende pour avoir laissé jouer deux filles voilées lors d’un tournoi qu’on organise chaque année », dénonce Nadir*, membre du club.
Malgré la situation, les sourires sont au rendez-vous. Plusieurs personnes hilares enchaînent les tirs sur le mini panier de basket installé pour l’occasion. D’autres, affamées, mangent à prix libre en déambulant entre les tables de collectifs féministes. Sur les coups de 19h30, la joyeuse bande s’installe dans la salle du cinéma pour profiter des blagues du Homedy Club avant de visionner le documentaire « 2004-2024 : les 20 ans d’une loi d’exclusion » de Dhia Ben Nasser qui fait le bilan de ses conséquences islamophobes en France.
Dans cet arsenal législatif discriminatoire, « aucune loi nationale [n’interdit] le port de couvre-chefs religieux dans le sport en France », rappelle un rapport d’Amnesty International2. Pourtant la FFBB, comme la Fédération française de football (FFF) et la Fédération française de volley-ball (FFVB), prend les devants : depuis décembre 2022, son règlement interdit le port de « tout équipement à connotation religieuse ou politique […] ». Les contrevenant·es s’exposent à des sanctions sportives et disciplinaires.
La FFBB leur reproche également une publication en soutien aux enfants de Gaza
Les Marseille Panthers, auxquelles la FFBB reproche également une publication en soutien aux enfants de Gaza, ont ainsi reçu plusieurs convocations en commission de discipline. Une surenchère répressive qui a abouti à la mise à pied de leur coach et à la privation de compétition pour une joueuse. Assia, membre du collectif Basket pour toutes, analyse : « La FFBB a imposé cette nouvelle règle du jour au lendemain. Je pense que visuellement on dérange. La Fédé ne voulait pas être associée à une image “islamiste” ».
Ces discriminations dans les règlements sportifs reposent en réalité sur une interprétation contestable de l’horrible loi « Séparatisme » (2021). Son article 12 marchande le versement de subventions aux associations contre la signature du fameux « contrat d’engagement républicain », qui leur impose « l’interdiction de remettre en cause le caractère laïque de la République ». Les réacs se croient ainsi autorisés à sanctionner tout ce qui leur paraît « anti-républicain ». Et bingo ! Tous les clubs affiliés doivent se plier à leur règlement.
La FFBB dépasse même les bornes de son règlement : « Ils interdisent même le port du voile à la table de marque ! On m’a aussi fait enlever le voile à l’entrée du gymnase alors que c’est interdit », dénonce Justine. « C’est même illégal ! », ajoute Assia. Des pratiques qui ne sont pas sans rappeler les pires heures de l’histoire française, lorsque le dévoilement forcé était utilisé pendant la guerre d’Algérie pour émanciper les femmes « indigènes » et ainsi justifier la « mission civilisatrice » de l’État colonial3.
« Aujourd’hui la cible ce sont les musulmans, mais pas uniquement »
Une vision qui persiste encore aujourd’hui. « Le voile n’est pas qu’un simple bout de tissu : c’est un étendard pour l’islamisme et un marqueur de l’infériorisation de la femme par rapport à l’homme », dégueulait Bruno Retailleau dans une interview pour Le Parisien début janvier. Dans cette saillie raciste et misogyne, il exprimait aussi son souhait d’étendre l’interdiction du voile aux sorties scolaires, aux universités et aux compétitions sportives. On est bien parti pour ! Une proposition de loi visant à « assurer le respect du principe de laïcité dans le sport » est en lecture à l’Assemblée nationale depuis le 29 octobre 2024. Le document de synthèse de la loi laisse peu de doutes sur leur vision réactionnaire de la laïcité4.
« Aujourd’hui la cible ce sont les musulmans, mais pas uniquement », rappelle Justine. Une intersectionnalité à laquelle sensibilise chaque année le club lors du S4 festival qui conjugue sport et cultures urbaines. Pour Assia, coach et joueuse d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), il faut continuer d’être visible : « Je suis devenue secrétaire générale de mon club, je continue d’organiser des évènements… Avec Basket pour toutes on essaye de récolter un maximum de témoignages, d’être visibles sur les réseaux sociaux… Que toutes les filles qui ont la force de se battre continuent ! »
* Les prénoms ont été modifiés.
1 Selon l’organisation, notamment composée de l’Asso-Solidaires, la Coordination féministe et le Comité de quartier antifasciste de la Belle-de-Mai.
2 Voir « France : “On ne respire plus. Même le sport on ne peut plus le faire.” Les atteintes aux droits humains des femmes et des filles musulmanes causées par l’interdiction du foulard dans le sport en France », Amnesty International (16/07/2024).
3 Voir « Le “dévoilement” des femmes : une longue histoire française » de Zhor Firar, Weibrecht (16/03/2016).
4 Voir « Principe de laïcité dans le sport – proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport », senat.fr (05/06/2024).
Cet article a été publié dans
CQFD n°238 (février 2025)
Dans ce numéro, un dossier sur la Syrie post-Bachar, avec un reportage sous les bombes turques à Kobané. Mais aussi des nouvelles de Mayotte où il faut « se nourrir, reconstruire et éviter la police ». On se penche également sur une grève féministe antifasciste et sur la face cachée des data centers. Puis on se demandera que faire de la toute nouvelle statue du général Marcel Bigeard, tortionnaire en Algérie, qui vient d’être érigée en Lorraine – un immense scandale.
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°238 (février 2025)
Par
Illustré par Garte
Mis en ligne le 21.02.2025
Dans CQFD n°238 (février 2025)
Derniers articles de Eliott Dognon