Désurbanisme participatif

Le béton, c’est bien !

Fin mai, une session de formation était organisée à L’École du renouvellement urbain (ERU), à Aubervilliers. Le thème : la co-construction des projets destinés à dessiner les villes d’aujourd’hui et de demain. Un membre de conseil citoyen marseillais1 en était. Et raconte combien le chemin est long, entre théorie et pratique. Pendant ce temps, les bulldozers avancent...
Par Kalem

Mai, début de soirée. Nous voilà, deux fiers missionnés du conseil citoyen du 2e arrondissement de Marseille, débarquant Gare de Lyon pour rejoindre un groupe de sept personnes, des gens de Bordeaux, Paris, Bron. Tous frais et dispos pour démarrer, le lundi suivant, une formation au sein de la toute nouvelle École du renouvellement urbain (ERU). Un établissement à prendre au sérieux – les projets de renouvellement urbain représentent 20 milliards d’euros d’investissement (sur dix ans) dans 216 Zones urbaines prioritaires2. Et les conseils citoyens sont censés avoir leur mot à dire. Ils peuvent en effet être vus comme une avancée vers un peu plus de démocratie participative, expression en vogue depuis une dizaine d’années, qui trouverait aujourd’hui un prolongement dans l’amélioration du « vivre ensemble ». En tant que membre de ces conseils, nous avons ainsi un droit de vote dans le cadre de la politique de la ville. Et nous donnons un avis dans les réunions techniques sur l’attribution des subventions de la commune. En clair, nous savons quelle quantité d’argent public est attribuée et à qui.

Nous voilà donc, petits Marseillais à Paris, pour une semaine de formation « tout paga » par les services de l’État. Pourquoi pas ! 20 milliards à répartir, c’est beaucoup. Et la co-construction potentiellement une belle idée. L’organisme de tutelle est le Commissariat général à l’égalité des territoires, créé en 2008. Son champ de compétence est particulièrement large : le littoral, les massifs montagneux, le rural et la ville. Mais notre volet à nous, c’est la ville.

Bienvenue chez Icade !

Après un week-end de détente sonne l’heure de rejoindre les bancs de l’école. Elle se trouve dans le parc Icade « Les portes de Paris » – 70 bâtiments y accueillent des entreprises de toutes sortes et 10 000 salariés. « Notre mission : investisseur », proclame le site Internet d’Icade. Il s’agit de placer l’argent public dans l’immobilier et d’attendre un retour sur investissement. Une fois encore, le décor est planté : l’école est située dans l’un des parcs immobiliers les plus importants de Paris ! Géré par la branche spécialisée de la Caisse des dépôts et consignations, Icade s’affiche numéro 1 français en gestion de bureaux, centres commerciaux, parcs d’affaires et équipements de santé. Bienvenue chez les spécialistes du béton !

Tandis que des réfugiés dorment dans la poussière et l’urine sous des échangeurs autoroutiers à cent mètres de là, nous traversons une belle allée ombragée, bordée de pelouses fraîchement tondues et de massifs de fleurs printanières. Dès l’entrée dans le temple, rien ne manque : café, viennoiseries, open space ultra moderne et intervenants de qualité. Le cocon parfait.

Concertation, vraiment ?

La semaine suit son cours, l’ambiance est studieuse, le rythme intense. Nous sommes un public averti, au fait des rouages de la machine à urbaniser : « La concertation », « la minéralité » des espaces publics, « la densification »… En clair, le bétonnage. Mais à Bordeaux comme à Marseille, la « concertation » ne va pas de soi : les politiques ne savent pas faire ou ne veulent pas. Comme c’est une obligation légale, des réunions dites « de concertation » sont certes organisées, mais elles ne reviennent en réalité qu’à « expliquer » des projets déjà bouclés. Un habitant a dit un jour lors de l’une de ces réunions, portant sur Euromed 2 à Marseille : « La seule liberté qu’on a, c’est de choisir l’emplacement du terrain de basket. » Il n’avait pas tort.

Pour situer : Euromed 2, c’est la suite d’Euromed 1, une zone urbaine de 170 hectares qui s’étend sur les quartiers de La Joliette, Les Crottes, Arenc. C’est la plus grande zone européenne de « rénovation urbaine » ; l’essentiel des projets qui y sont menés répondent au diptyque « démolition / reconstruction ». De fait, il s’agit de la plus grande zone de promotion immobilière d’Europe. À tel point qu’on n’y parle plus de « rénovation urbaine » mais (notez le glissement sémantique) de « renouvellement urbain ». Allons-y gaiement ! Et l’histoire de nos quartiers ?

Logique ascendante

Durant cette semaine à l’ERU, on nous explique comment s’organisent les projets urbains et comment y participer. Mais, en filigrane, se détache une autre conclusion : « La co-construction, c’est nouveau. Les politiques ne savent pas encore faire, il faut les aider », explique un formateur. Et d’ajouter : « Plus tôt vous serez associés au projet, mieux ce sera. » un autre note notre implication et avoue : « C’est davantage aux politiques qu’à vous de faire des efforts de co-construction avec les habitants. » Belle découverte !

La conception même des projets n’aide pas à la co-construction. L’organisation est verticale, alors qu’il serait beaucoup plus simple, efficace et moins cher qu’elle soit ascendante. Pour l’instant, les choses se passent comme ça : l’État a un budget de 20 milliards, se paie des études (avec de pareilles sommes, on peut), fait appel à des équipes d’urbanistes, d’architectes et autres experts, élabore un projet écrit et chiffré précis. On appelle en cours de route les habitants, on les consulte, mais ça s’avère compliqué de remettre en cause un projet qui est réfléchi depuis plusieurs mois déjà par une armée de techniciens et d’élus. Forcément, il y a des frustrations et les projets échouent en partie.

En revanche, dans une logique ascendante, on partirait des desiderata des habitants et on pourrait se poser les bonnes questions : « Que voulez-vous ? Quelles améliorations souhaitez-vous ? » Les projets seraient dès leur origine concertés, tout le monde satisfait et les réalisations in fine « moins chères », de l’aveu même de certains urbanistes. CQFD.

Gérald Perilli

1 Il y a 1 054 conseils citoyens en France, dont 10 à Marseille. Ils ont vu le jour il y a deux ans, avec la loi du 21 février 2014 sur « la programmation pour la ville et la cohésion urbaine ».

2 Ou ZUP, une abréviation du jargon technique de l’urbanisme parmi la centaine existante. En guise de préambule à la formation, une plaquette avec deux pages de sigles nous a été distribuée.

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