ZAD

Zone humide à défendre

Une ZAD dans la vallée du Tescou, à une dizaine de kilomètres de Gaillac, près de Toulouse. Le conseil général projette d’y installer un barrage. Cet ouvrage engloutirait plus de 29 hectares de forêt et de zone humide pour irriguer le maïs d’une dizaine d’agriculteurs. « Ami, entends-tu ? »
Photo D.R.

Avec bottes et chaussettes en laine, nous arrivons au camp. C’est le collectif des Bouilles qui y est installé depuis octobre 2013, grâce au travail préalable d’un autre collectif, celui pour la Sauvegarde de la zone humide du Testet (CSZHT), le temps de gagner du terrain sur le plan juridique. Nous sommes accueillis par des « Zadistes » à la Métairie neuve, sur des terres rachetées par le conseil général après le décès du propriétaire.

Mais la ferme squattée a dû être évacuée après le passage d’un commando « pro-barrage », une vingtaine de « cagoulés » en treillis, munis de matraques et de répulsifs, qui ont saccagé le squat. Un kilomètre plus loin, des vestiges de cabanes et la trace du grand chapiteau embarqué par les flics, lors de la seconde expulsion des Zadistes, officielle celle-là – on ne peut pas dire légale, ce n’est pas le cas –, le 27 février dernier. De l’autre côté de la route, le nouveau camp, « la Bouillonnante », encore debout celui-là, sur des terres de l’Office national des forêts. Yourtes, cuisine et salle à manger – des serres aménagées par des agriculteurs du coin qui apportent leur soutien –, mais aussi des plates-formes dans les arbres, un autre chapiteau de fortune construit autour d’un grand arbre, lieu de rassemblement où parfois on pourra entendre, autour du feu, le chant des « partis sans » : « Testet, entends-tu, les voleurs de notre eau sur la plaine ? Testet, entends-tu, les tricheurs libéraux qui s’déchaînent ? Ohé, militants, écolos et paysans, c’est l’alarme ! Ce soir, les petits arrêt’ront la soif des grands sans les armes ! »

Si la majorité des militants sont du coin, quelques-uns, dont les premiers arrivés en octobre, et les occupants permanents, viennent de NDDL, mais aussi d’autres « ZAD », comme celle de Rennes-les-Bains, et même de la capitale : « Sur la région parisienne, il n’y a même pas de ZAD, c’est nul ! » Le cœur de la lutte bat au rythme d’un petit groupe de militants nomades qui se bagarrent ici « contre un énième projet imposé par les géants capitalistes ». Après chaque expulsion, de nouveaux arrivants. «  Et ça continue de prendre de l’ampleur… Ils nous font de la pub, ces cons-là. »

Photo D.R.

Jusqu’ici, ils empêchent les naturalistes de faire leur travail de prélèvement des espèces protégées, ce qui retarde le démarrage du déboisement. Mais ça se corse, lorsque l’un d’eux vient prélever trois larves de salamandre… escorté par vingt-cinq flics armés jusqu’aux dents ! Mais il leur faudra tenir bon, peut-être plus pour longtemps : si l’on en croit – mais faut-il le croire ? – Thierry Carcenac, président du conseil général, le déboisement prévu fin mars conditionne et les travaux et le versement des aides européennes… Tout se jouerait donc ce mois-ci1.

Nous partons à pied chez Marie-Agnès, porte-parole du CSZHT. « C’est vous les journalistes ? » Devant nos pattes farcies de boue jusqu’aux genoux, elle a du mal à nous prendre au sérieux. Puis elle nous remet cinq dossiers. Changement d’ambiance, et 300 nouveaux arguments contre ce barrage. D’abord, pour les connaisseurs, la richesse d’une zone humide – zones en voie de disparition, parce qu’il est difficile de faire de l’argent avec de telles terres – est inestimable, ne serait-ce que pour les centaines d’espèces protégées et menacées ou la réalimentation des nappes phréatiques. « C’est une vallée qui a énormément de valeur, c’est la zone humide la plus importante du Tescou », nous avait rappelé Camille, du collectif des Bouilles. Le Conseil national de la protection de la nature a d’ailleurs donné un avis défavorable à la demande de dérogation sur les espèces protégées. Normalement cet avis suffit à tout arrêter. Le problème, c’est que la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), société d’économie mixte, est maître d’œuvre, maître d’ouvrage, et contrôle le bureau d’études. Du coup, ça leur passe au-dessus. Marie-Agnès rajoute : « la CACG est en déficit : ils savent que si ce barrage ne se fait pas, il n’y en aura pas d’autres pour eux. » Et ils y vont carrément, multipliant par trois la taille du barrage par rapport aux besoins estimés par les études. « C’est une aberration par rapport au coût, c’est une dépense d’argent qui est inconsidérée !  » Plus de 8 millions sont nécessaires à la simple construction de la bête. Ce réservoir est destiné à l’irrigation de maïs pour l’agriculture intensive « pour moins d’une dizaine d’agriculteurs. Mais en fait on ne sait pas, il n’y a pas d’enquête pour savoir vraiment qui s’en servira, aucun n’a concrètement signé pour l’instant, on ne sait même pas si l’eau sera utilisée. »

Nous partons ensuite (en voiture et présentables, cette fois) à la rencontre d’un des rares agriculteurs concernés qui s’oppose ouvertement au pharaonique projet. M. Lacoste et sa femme ont repris l’exploitation agricole familiale qui existe depuis plusieurs générations. Habitant tout à côté du lieu de construction du barrage, ils vont perdre environ 7 hectares de pâture. Son père protégeait déjà la vallée en refusant de signer pour un projet de base de loisirs et un autre d’enfouissement de déchets : bref, la vallée n’en est pas à sa première convoitise. Pour le sieur Lacoste, « les agriculteurs autour, ils savent aussi que ce n’est que de la nuisance pour eux. Ils ne pourront même pas pomper dedans. Mais bon, comme ils sont à la Fnsea, ils ne diront rien. » Lui n’y a jamais adhéré et ne compte pas s’agrandir, d’où sa position ouvertement contre le barrage. C’est donc très logiquement qu’il soutient, tout comme Marie-Agnès, « la grande bande d’a… enfin les jeunes, on va dire », sans qui la forêt serait peut-être déjà couchée.

Photo D.R.

1 Les zadistes s’attendent à une tentative d’expulsion et déboisement dès le 10 mars alors que le journal sera déjà sous presse. Affaire à suivre par ici et sur les ondes de Canal Sud à Toulouse.

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