Retour sur le cas Geneviève Legay
Voyage au centre de l’indécence crasse
Au départ, on avait prévu de faire une recension des dernières déclarations politiques et médiatiques les plus atterrantes en matière de répression. Brut. Cash. Un cocktail peu ragoûtant de Brice Couturier et de BFM, de Castaner et de Royal 1. Problème : il y en avait trop, ça débordait de la fosse septique, à tel point qu’on aurait pu remplir tout le journal de ces saillies liberticides. Du coup, il a fallu resserrer, angler à la pro.
Et quel meilleur exemple de la libération d’une parole puante et décomplexée que les récentes réactions aux graves blessures de Geneviève Legay lors de l’acte XIX à Nice ?
⁂
On récapitule pour ceux qui glandaient pépouze sur Pluton ces derniers jours : le 23 mars, un petit groupe de manifestants niçois pacifiques est violemment chargé par des CRS. Propulsée à terre, une militante d’Attac, 73 ans, porteuse d’un dangereux drapeau Peace, reste au sol. Les médics souhaitent intervenir ? Ils sont embarqués manu militari pour dix heures de garde à vue. Et ce alors que les blessures de Madame Legay sont de toute évidence très graves2
Rapidement, les molosses sont lâchés. Au premier rang, un certain E. Macron, qui lui souhaite de trouver « une forme de sagesse », ajoutant : « Quand on est fragile, qu’on peut se faire bousculer, [...] on ne se met pas dans des situations comme celle-ci. » Bah ouais, meuf, t’as les cheveux blancs, tu restes chez toi, ou alors faut pas s’étonner d’être molestée jusqu’au coma. Même tonalité martiale chez la ministre de la Justice, Nicole Belloubet : « Je trouve tout de même curieux que lorsqu’une manifestation est interdite quelqu’un aille [...] manifester à cet endroit-là » (BFM, 24/03). Violences policières ? Nope : délinquance à col arc-en-ciel.
Et puisque, vraiment, on sait être classe à LREM (Le Raffinement en Marche), le député du Pas-de-Calais Benoît Potterie, profite de l’occasion pour se payer une bonne tranche de rigolade dans un tweet du 25 mars, peuplé de smileys affichant leur hilarité, trop drôle : « La manifestation était interdite, elle n’avait rien à faire là !!! Moi je demande plutôt à ce qu’on lui fasse payer l’amende de 135 euros. » Indécence ? Le mot est faible. Disons : hypertrophie du gène Connardum decomplexum.
Wesh, y s’Pasqua ?
Là où l’affaire Geneviève Legay est exemplaire, ce n’est pas uniquement dans cette omniprésence du jugement inversant la culpabilité – elle avait qu’a pas être là, d’abord –, mais dans ce fourmillement de petites saloperies qui l’accompagnent. Procureur de Nice et président de la République main dans la main pour annoncer qu’aucun policier ne l’a touchée ou bousculée, juré-craché-mollardé (version reprise par les chaînes d’info en continu et depuis largement invalidée par des vidéos et révélations de Mediapart). Estrosi enfonçant le clou à la Brute de Nice : « Ce n’est pas dans un heurt avec la police [qu’elle a été blessée], elle a trébuché. » Membres de la famille Legay affirmant que des policiers sont venus les intimider à l’hôpital. Insinuations sur le côté Black Block de l’ultra-violente Geneviève Legay – « Attac, c’est pas n’importe qui, c’est une certaine extrême gauche très organisée », frissonne Alexis Lacroix, journaflippé chez l’Express, sur BFM. Et même : justice saisie (le 28/03) pour injures en ligne contre des policiers dans les commentaires d’une vidéo montrant la charge des flics. La totale.
Ainsi va la vie médiatique et politique en Macronie, de plongeon dans le marigot en galipette dans l’égout, toujours plus bas avec les rats. Une version hypertrophiée de l’axiome vérolé d’un certain Charles Pasqua, boss de la matraque à l’ancienne : « La peur du gendarme est le commencement de la sagesse. » On a les gourous flétris qu’on mérite.
1 Cette dernière trônait au top, avec son « Les Black Blocs ne sont pas des terroristes mais ils sèment la terreur ; et donc c’est la même chose » (RTL, 21/03). Bravo championne !
2 Quelques jours après l’écriture de cet article, Geneviève Legay confiait à Mediapart que son hématome au crâne n’était toujours pas résorbé, que la fracture de son coccyx la faisait toujours souffrir et qu’à ses yeux, « Macron n’est pas un exemple de sagesse mais un exemple de mépris et de violence ». [Note du webmaster]
Cet article a été publié dans
CQFD n°175 (avril 2019)
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Paru dans CQFD n°175 (avril 2019)
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Mis en ligne le 13.05.2019
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