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Vivre comme un chat


paru dans CQFD n°156 (juillet-août 2017), rubrique , par Christophe Goby
mis en ligne le 19/02/2020 - commentaires

En plein tribunal, il lâche : « Pourriture de justice française ! » Plus tard, il semble revenir sur ses propos. « Comment ? », s’étonne le juge. « Oui, pérore Serge Livrozet. J’aurais dû dire : “Pourriture de toutes les justices !” » Un documentaire revient sur son parcours.

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[|Cet article a été publié originellement dans le n° 156 de CQFD (juillet-août 2017). Depuis, nous avons appris la mort de Serge Livrozet, survenue mardi 29 novembre 2022.|]

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Entre le cigare et le diesel, le libertaire Serge Livrozet n’a pas encore choisi comment mourir. Passionné de conduite automobile depuis qu’il a tenu le volant pour des braquages, il a nourri autant que Churchill et Castro une passion pour le cigare. La ressemblance s’arrête là. Livrozet est un fils du prolétariat. Sa mère prostituée lui fait dire qu’il a toujours été du côté des baisés. À ceci près que la révolte l’anime depuis son premier emploi de plombier. Il participe au mouvement de Mai-68 à la Sorbonne, mais les étudiants rejettent les ouvriers qu’il a amenés.

Qu’importe, il fait ses classes à la centrale de Melun de 1968 à 1972 (il a été condamné pour « atteinte à la propriété »). En prison, il revendique et naît à sa propre existence. À sa sortie, il rencontre Michel Foucault, fonde avec lui le Comité d’action des prisonniers (CAP), fonce sur les plateaux télé, parle à haute voix, s’exprime comme un tribun populaire. Le journal du CAP tire à 50 000 exemplaires. Il faut venir à 120 pour le vendre devant Fresnes, tant il est honni du pouvoir. Livrozet écrit, devient éditeur, montre avec fierté ses livres à sa mère. En 1974, convoqué comme témoin de la défense d’un détenu, il s’indigne d’une peine excessive. Et lâche en plein tribunal : « Pourriture de justice française ! » À son procès, à Colmar, il semble revenir sur ses propos. « Comment ? », s’étonne le juge. « Oui, pérore Livrozet, j’aurais dû dire : “Pourriture de toutes les justices !” » La salle est avec lui. Elle hurle de rire. Il exulte, fier comme Artaban. Se tourne vers le public et le harangue. Verdict : 1 400 francs d’amende – ça valait le coup. Une défense de rupture.

Nicolas Drolc, qui a fait revivre la révolte des détenus de la maison d’arrêt Charles III de Nancy en janvier 1972  [1], est tombé sur le charme de la vieille bête. Dans La mort se mérite – digressions avec Serge Livrozet  [2], il le filme en noir et blanc, comme un fils aux derniers jours du vieux. Il l’accompagne à la boucherie, à la fromagerie, l’enregistre gueulant contre les automobilistes. Il n’est pas toujours très fin, le vieux Niçois. Mais vit aujourd’hui comme un chat sur la Côte d’Azur sans se soucier de l’heure. Il préconise l’ail comme remède à cette vie qu’il n’a pas voulue.

[/Christophe Goby/]


Notes


[1Dans le documentaire Sur les toits (Les Mutins de Pangée, 2014).

[2Documentaire réalisé par Nicolas Drolc (Les Films Furax, 2016).



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