Réçit
Une histoire vraie
Jeudi 21 février, 13 h 45, je quitte l’heure d’information syndicale organisée avec les collègues du collège Jean-Moulin (Montreuil, 93) pour rejoindre Bruno Le Dantec, Mahmoud Traoré et Sonia Retamero qui attendent devant les grilles de l’entrée. Ils viennent rencontrer une classe de 5e pour échanger autour de leur livre. Ce récit autobiographique d’un clandestin africain en route vers l’Europe est passionnant, mais, réflexe de prof, je ne peux m’empêcher de flipper : les mômes viennent sur leur temps libre, et s’ils s’ennuient, ils le diront franchement.
D’emblée, en dépit de la présence d’une photographe, le courant passe. Cela fait presque une semaine que l’on travaille sur des extraits du livre. Les mômes ont suivi l’épopée de Mahmoud : plus de trois années d’itinérance, de Dakar à Séville en passant par le Sahel, le Sahara, la Libye, le Maroc. La plus longue route, celle des pauvres… À peine installés en classe, ils se lèvent tous et vont le voir pour lui parler, lui serrer la main, constater qu’il est fait de chair et de sang, qu’il n’a que le double de leur âge ; un héros ordinaire tellement distinct d’Achille, d’Arthur ou de Gargantua. L’aura de l’ancien clandestin rejaillit sur les autres intervenants.
Les questions fusent, parfois taquines, souvent pertinentes : « Et votre fiancée, celle que vous n’avez pas prévenu de votre départ, comment a-t-elle vécu votre retour sept ans après ? » ; « Pourquoi ne pas être resté avec Malika, qui vous a proposé de reprendre un commerce avec elle, à Alger ? En plus, elle était belle ! » ; « Pourquoi ne pas avoir pris l’avion au lieu de faire tout ce trajet à pied ? C’est parce que vous n’aviez que 70 euros en tout et pour tout ? » ; « Pourriez-vous nous raconter les agressions racistes dont vous avez été victime en Libye ? » ; « Pendant combien de temps n’avez-vous pas appelé votre famille ? Ne s’inquiétait-elle pas ? »
Mahmoud répond avec ferveur et explique les obstacles rencontrés pour rejoindre l’Europe forteresse. Il a été victime de racket tout au long du trajet. Dans chaque cité ou presque, il devait verser un bakchich pour poursuivre sa route. Il raconte les passeurs dénués de scrupules et âpres au gain ; les douaniers cruels qui les abandonnent dans le désert. Il évoque ensuite les quinze longs mois passés dans l’enclave de Ceuta, les tentatives avortées pour franchir les barrières, et enfin, la dernière, celle qui lui permit de rejoindre l’Espagne, Séville en particulier, où il vit toujours, mais avec des papiers en règle, désormais.
Dans le livre, Mahmoud évoque une blessure au pied droit due aux barbelés. Les mômes demandent à voir. Il retire chaussure et chaussette et la discussion se poursuit deux heures durant, ponctuée d’un petit intermède « goûter ». Au bout du compte, un beau et riche moment partagé autour d’un livre et de ses interprétations.
Dem Ak Xabaar – Partir et raconter (éditions Lignes, 2012)
Cet article a été publié dans
CQFD n°109 (mars 2013)
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Paru dans CQFD n°109 (mars 2013)
Dans la rubrique Culture
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Mis en ligne le 14.05.2013
Dans CQFD n°109 (mars 2013)
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