Un dangereux fumeur de cannabis pris dans les mailles de la justice

par L.L. de Mars

Il est 23 h 50, en cette fin novembre, rue Léo Lagrange à Vénissieux dans la banlieue lyonnaise, alors que Khaled et Yacine bavardent avec deux autres personnes assises dans une voiture. Des policiers de passage décident de les contrôler. Yacine s’éloigne. Interprétant ce geste comme une fuite, ils le rattrapent, le fouillent et s’emparent de sa sacoche : elle contient 158 grammes de shit. Dans leurs procès verbaux, les pandores affirment qu’à leur approche, Yacine, encore mineur, s’est fait remettre cette sacoche par Khaled dans les poches duquel ils trouvent la somme de trente euros. La perquisition effectuée au domicile de ce dernier va aboutir à la saisie de quelques grains de cannabis et d’un morceau de papier sur lequel sont listées des chiffres, document aussitôt regardé comme étant des comptes de vente de stupéfiants.

« C’est faux, je n’ai rien à voir avec toute cette histoire », tente d’expliquer Khaled devant la chambre des comparutions immédiates au lendemain de son arrestation. Il reconnait qu’il voulait acheter une barrette de shit – ce qu’a confirmé Yacine lors de sa garde à vue. Il poursuit : « Ce jeune avait déjà la sacoche dans les mains quand la police est arrivée. Je lui ai juste serré la main… » « Bien sûr, bien sûr !  », coupe le juge, avec condescendance. À propos de la liste de chiffres, le magistrat tente : « On sait que ça correspond à des ventes. » « C’est faux, rectifie Khaled, la chambre où ils ont trouvé cette feuille est celle de mon frère ! » « La police dit vous avoir entendu dire à Yacine “Vas-y !” », affirme le juge. « Non, je n’ai rien dit », proteste Khaled. « Non, non, non ! », répète moqueur le président qui, après avoir refusé de prêter attention au fait que Khaled affirme avoir été molesté lors de son arrestation, rappelle au tribunal que le prévenu vit chez ses parents avec sept frères et sœurs, que, titulaire d’un CAP en chaudronnerie, il est en recherche d’emploi et qu’il a été emprisonné une fois pour stupéfiant.

Le procureur se livre alors à un bref florilège de clichés : « Ce dossier est d’une banalité affligeante. Le premier employeur des cités, c’est le cannabis. Un mois après sa sortie de prison, Khaled est au cœur d’un petit trafic de quartier. Il persiste dans la consommation et dans le trafic de cannabis : il y a ces 158 grammes de cannabis et une feuille de comptes que l’on retrouve chez lui. Il est donc en situation de récidive. » Il réclame dix à douze mois de prison avec mandat de dépôt – sanction au-delà d’un aménagement de peine – et une amende de 1 500 euros.

L’avocat de Khaled tente de démonter les affirmations du parquet : « Il est peu crédible que ces jeunes fassent un échange de cannabis alors que trois véhicules de police arrivent phares allumés. De plus, mon client n’a que trente euros sur lui, ce qui ne correspond pas à l’image d’un dealer, mais plutôt à celle d’un petit consommateur. » Le président baille et ferme les yeux. « En ce qui concerne la perquisition, le frère de Khaled reconnaît que le bout de shit et la feuille de comptes lui appartiennent. Il est d’ailleurs poursuivi pour cela. Le procureur ne peut donc pas en faire porter la responsabilité à Khaled ; c’est l’un ou l’autre des frères, pas les deux. […] Il n’y a pas de culpabilité par contagion », conclut l’avocat. Il demande la relaxe, avant que Khaled ne clame une dernière fois son innocence.

Après délibérés, le tribunal condamne Khaled à quatre mois de prison avec mandat de dépôt « pour vous éviter d’avoir à recommencer », précise le juge. Comprenne qui pourra…

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Paru dans CQFD n°106 (décembre 2012)
Dans la rubrique Chronique judiciaire

Par Olivier Katre
Illustré par L.L. de Mars

Mis en ligne le 12.02.2013