startupisation de l’assurance chômage
Un axe Berlin-Marseille contre la broyeuse à chômeurs
Non, l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. En tout cas, pas pour les chômeurs. Et surtout pas en Allemagne. Le service du boulot de merde obligatoire que Macron s’apprête à faire peser sur les chômedus de sa start-up nation a beau être un cauchemar, il y a peu de chances qu’il fasse jeu égal en férocité avec son modèle allemand, ce régime de mise au travail forcé instauré il y a treize ans sous le nom de Hartz IV1. Il n’est pas déraisonnable d’espérer – si l’espoir est une substance qui peut se racornir à d’aussi chétives proportions – qu’en matière de surveillance, de coercition et d’usine à gaz bureaucratique mises au service de l’« activation des demandeurs d’emploi » le génie tricolore reste pour longtemps à la traîne de l’efficacité germanique. Et qu’à tout prendre, il vaille mieux, pour un chômeur, tâter la schlague macronienne que le fouet hartzien.
Cette cafardeuse consolation nous ferait presque oublier que, face aux garde-chiourmes qui veulent transformer nos abattis en armée de réserve du marché du travail, une option plus stimulante nous tend les bras : l’entraide, l’auto-organisation, la lutte collective. Dans ce domaine, les trimardeurs d’outre-Rhin ont des choses à nous apprendre. En France, le mouvement des chômeurs de 1997 et la campagne des allumettes, qui a fait flamber une demi-douzaine d’ANPE – ancêtres des Pôles emploi – en 2006, ne sont qu’un lointain souvenir. En Allemagne, en revanche, les pratiques de résistance restent bien vivaces. La preuve ? En juin dernier, alors qu’on enquêtait sur Hartz IV à Berlin pour un journal un peu moins impécunieux que CQFD2, on a tapé à la porte de Basta, un collectif de chômeurs installé depuis six ans dans le quartier populaire de Wedding, le « kleine Marseille » de la capitale allemande. Pendant qu’un batteur vénère cognait sur ses fûts dans le local de répétition du bar associatif juste à côté, Christoph, un des jeunes militants du groupe, nous rodait à la vitalité du lieu.
Rapport de forces
Trois jours par semaines – lundi, mardi, jeudi – Basta tient une permanence de trois heures à destination des galériens du quartier et d’ailleurs. « En un an, on reçoit plus d’un millier de chômeurs, dont beaucoup d’immigrés, leurs droits étant encore plus bafoués que ceux de leurs camarades allemands. Certains nous ont d’ailleurs rejoints », explique Christoph. Avec son allocation crève-la-dalle de 409 € par mois pour un célibataire, sa gouvernance inquisitoriale du « client » soupçonné en permanence de tirer au flanc et ses sanctions qui frappent dès le premier refus d’une proposition de job, généralement précaire et larbinesque, le dispositif Hartz IV a la cohérence d’un boulet de canon. « Il comporte néanmoins des failles qu’on peut exploiter, notamment devant les tribunaux, indique Christoph. Étant chômeur moi-même, je sais par expérience que quand tu connais tes droits, on te tape un peu moins dessus. Et quand le soutien juridique ne suffit pas, on accompagne nos camarades de galère à leurs convocations dans les Jobcenters. Lesquels se mettent vite à paniquer si on débarque à trente ou cinquante. Le rapport de forces, ça fonctionne, même face un appareil de contrôle aussi verrouillé. »
Les militant.e.s de Basta en sont bien conscients : si la lutte paie sur le terrain, elle reste dépourvue de débouchés politiques, tant les invectives et le reconditionnement managérial qui accablent les chômeurs depuis treize ans ont semé déprime et résignation. « Chez nous, mettent-ils en garde, les syndicats ont saboté l’énorme mobilisation populaire de 2004 contre Hartz IV. Une fois que c’est perdu, tu peux toujours ramer pour remonter le courant. C’est pour ça que vous, en France, vous ne devez surtout pas vous laisser faire. » Un message qu’ils auront bientôt l’occasion d’adresser aux Marseillais : le 11 novembre à 19 h, Christoph et deux de ses acolytes viendront allumer quelques fumigènes verbaux à Manifesten (59, rue Thiers), à deux pas de l’antre à chômeurs de CQFD. Histoire de prendre chaud en prévision de l’hiver qui menace.
1 Hartz IV est la dernière des quatre lois de mise au pas des chômeurs adoptées entre 2003 et 2005 sous la coalition des sociaux-démocrates et des écolos dirigée par le chancelier Gerhard Schröder. Leur concepteur, Peter Hartz, ancien DRH de Volkswagen, a été condamné à deux ans de prison avec sursis et à 500 000 € d’amende en 2007 pour avoir « acheté la paix sociale » chez le constructeur en distribuant pots-de-vin, voyages exotiques et prestations de prostituées aux membres du comité d’entreprise.
2 Olivier Cyran, « L’Enfer du miracle allemand », Le Monde diplomatique, septembre 2017.
Cet article a été publié dans
CQFD n°159 (novembre 2017)
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Paru dans CQFD n°159 (novembre 2017)
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Illustré par Plonk et Replonk
Mis en ligne le 11.11.2017
Dans CQFD n°159 (novembre 2017)
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