Dans mon saloon

Trump Tower : le dernier bal

Trottiner d’un stand à l’autre, se glisser parmi les exposants, observer et prendre note, s’approprier un salon. En direct des States, visite de la new-yorkaise Trump Tower quatre semaines avant les élections.

Minuscule au pied des 58 étages de la Trump Tower, affublée d’un justaucorps à paillettes et d’ailes d’anges en plastoc, un petit bout de femme danse. Ou plutôt : elle tangue d’un pied sur l’autre, le regard perdu. La cinquantaine et originaire de la République dominicaine, Ana voue un culte au candidat républicain « qui ne recule devant rien ».

Fin des années 1970, Trump investit comme un bourrin dans l’immobilier à Manhattan et fait construire ce gratte-ciel pour abriter sa résidence principale : un penthouse estimé à 100 millions de dollars. S’il n’y vit plus depuis sa première victoire aux présidentielles, sa compagnie, The Trump Organization, gérée par ses fils et condamnée plusieurs fois pour fraude, a toujours son siège au 26e étage. Accès interdit. Les péquenots comme moi ont le droit de pénétrer dans l’édifice, mais sont condamnés à voir les portes des ascenseurs se fermer devant leurs gueules. Pas de cieux pour les gueux.

C’est un peu comme Lourdes avec la Vierge, mais nappé de vieux rock en fond sonore.

À l’origine, l’endroit devait accueillir des boutiques « super-luxe ». Mais, hormis Gucci, on n’y trouve que des magasins de goodies à l’effigie du gros rougeaud (casquettes, gourdes, chaussettes, jeux de cartes, fringues pour enfant et autres conneries). C’est un peu comme Lourdes avec la Vierge, mais nappé de vieux rock en fond sonore. On peut aussi bouffer du Trump au Trump Pizza, cramer du Trump au Trump Grill ou boire une tasse de Trump au Trump Café. Ici, une famille white trash s’extasie devant une photo de Donald qui serre la paluche à Kim Jong-Un. Là, une ado choisit un ourson Trump en peluche pour l’offrir à son daron.

Je m’enfuis en prenant l’escalator et me cogne à une sorte de plumeau : ce sont les ailes d’Ana. Dans un tourbillon de paroles, elle me raconte ses embrouilles de famille tout en me montrant le site qu’elle a créé pour aider le « futur président » dans sa campagne. Ana a bossé ici comme femme de ménage, mais s’est « libérée du travail », dit-elle, pour faire ce qui lui plaît : danser. Chose qu’elle fait bénévolement et sans qu’on ne lui ait rien demandé : Ana, ça se voit, elle a pété les plombs.

Malgré tous les totems à la gloire de Donald, c’est d’elle que surgit, à mes yeux, toute une symbolique. Ancienne employée venue hanter son lieu de travail en serpillière essorée, immigrée en adoration devant son ex-boss raciste, Ana agite ses ailes en faveur du démon. À quatre semaines des élections, elle incarne à la perfection le règne de la confusion : la vie pétée des anges.

Et la voilà qui danse à nouveau, dans le sous-sol cette fois, le regard de plus en plus bas, les gestes de plus en plus las. « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution  », disait Emma Goldman, féministe et libertaire qui agitait les foules sur le sol américain au début du XXe siècle. Aujourd’hui, on peut se poser la question autrement : sans révolution, est-ce qu’on aura encore envie de danser ?

Pauline Laplace
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Cet article a été publié dans

CQFD n°235 (novembre 2024)

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