Traité transatlantique, mais qu’est-ce qu’on va faire de ça ?

Du 22 au 25 mai prochain auront lieu les élections européennes au cours desquelles les peuples des 28 États membres feront valser les têtes du Parlement européen. Il est fort à parier que l’abstention record du suffrage de 2009 (près de 60 % !) sera de la partie. En tout état de cause, ce n’est pas la secrète négociation d’un grand marché transatlantique entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis qui va jouer dans le sens d’une réconciliation entre la population européenne et ses élites. Le scénario est tellement éculé, les acteurs ont été tant de fois démasqués, que l’histoire à révéler tient plus du radotage que du scoop : après avoir plié les économies nationales, les croisés du libre-marché passent à l’échelle intercontinentale. Leur nouvelle arme : le partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP). Il y a un an, Obama, Van Rompuy (président du Conseil européen) et Barroso (président de la Commission européenne) signaient officiellement le début des négociations afin qu’une zone de libre-échange intercontinentale soit sur pied pour 20151.

« Officiellement », parce que les négociations entre ces deux poids lourds économiques pesant 50 % du PIB mondial filaient déjà bon train depuis quelques années. En catimini. Une prudence que l’on ne saurait condamner pour qui se souvient comment le peuple, encore lui, avait fait capoter en 1998 les tractations concernant l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). D’où cette leçon, magistralement récitée en 2005 lors de l’adoption forcée du traité sur la constitution européenne, et rejouée ici sur le même tempo : pour bien se mener, les affaires de l’Europe n’ont cure de l’avis de ses cinq cents millions d’habitants. Les amateurs d’euphémisme parleront de « déficit démocratique », d’autres plus lucides établiront cet accablant constat : « La Commission européenne a publié une liste de 130 réunions [s’étant déroulées de janvier 2012 à avril 2013] avec des “parties prenantes” à propos des négociations UE-US sur le libre-échange. Au moins 119 impliquaient des rencontres avec des grandes entreprises et leurs groupes de pression. Ce qui signifie que plus de 93 % des rencontres de la Commission avec les parties prenantes pendant les préparations des négociations ont eu lieu avec le monde des affaires.2 » À la tête de ces lobbies, véritables architectes de cette politique néolibérale qui fait de tout être non rentable un sujet mort, on trouve le Trans-Atlantic Business Council (TABC), agglomérat de multinationales américano-européennes (de la lettre A pour l’American International Group à la lettre W pour la Wärtsilä Corporation, en passant par les firmes BASF, Ericsson ou Total pour ne citer que les plus connues).

Passons sur la suppression des derniers droits de douane envisagée par le traité, le gros du morcif concerne les barrières non tarifaires. « C’est-à-dire le démantèlement complet de l’appareil législatif et réglementaire des 28 états de l’UE chaque fois qu’une norme est considérée comme un obstacle excessif à la libre concurrence, estime le chercheur Raoul-Marc Jennar3. Et cela vise aussi bien les normes sociales, alimentaires, sanitaires, phytosanitaires, environnementales, culturelles, que les normes techniques.  » Au final, l’adoption du traité devrait permettre aux firmes « d’attaquer les législations et les réglementations des États quand elles considèrent qu’il s’agit d’obstacles inutiles à la concurrence, à l’accès aux marchés publics, à l’investissement et aux activités de service. Elles pourront le faire, non plus devant les juridictions nationales, mais devant des groupes d’arbitrage privés, ce qui aura pour conséquence que ce seront les firmes privées qui définiront progressivement les normes de la vie en société. »

Début janvier 1994, l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) instaurant une zone de libre échange du Canada au Mexique avait servi de détonateur symbolique à la colère zapatiste. Certains affirment que malgré le réchauffement climatique le passe-montagne sera bientôt de rigueur sous nos latitudes.


1 Notons au passage qu’un traité similaire se négocie, crapuleusement, entre les USA et l’Asie : le partenariat trans-Pacifique.

2 Extrait de « La Commission européenne se prépare pour les négociations de libre-échange UE-US : 119 réunions avec des lobbyistes de l’industrie ». Consultable sur ce site.

3 Auteur de Le Grand Marché transatlantique : la menace sur les peuples d’Europe, Cap Béar Éditions, 2014.

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