Cap sur l’utopie
Thomas More était-il une andouille ?
Fort heureusement, les Lettres à Thomas More sur son utopie (et celles qui nous manquent) de l’utopologue patenté Thierry Paquot (La Découverte) ne sont pas tout à fait ce qu’elles paraissent être. En effet, ce n’est pas là un encensement du rigoriste auteur de L’Utopie (dont l’oeuvre scolastique complète comporte 21 gros volumes !). C’est sans chercher à « couvrir » le grand crack des lendemains meilleurs qu’elles racontent sa course aux honneurs et son penchant pour le bonheur ascétique. Et puis ce n’est pas seulement là une plongée en apnée dans le thomasmorisme. L’historien Paquot vise bien plus large, d’une part en vagabondant dans les autres utopies d’avant le XXe siècle : la ville modèle à la Cabet, la communauté-coopérative à la Owen, la metropolis idéale à la Bellamy, le phalanstère ludique à la Fourier, le familistère ouvrier de mon arrièregrand- oncle Godin, ou des canevas moins connus comme l’école anti-autoritaire misant sur le self-government de Mabel Barker qui annonce Summerhill ou comme la ville sans miasmes, sans tabac, sans alcools du docteur Benjamin Ward Richardson qui « ressemblait étrangement à une maison de convalescence ». D’autre part, en mettant longuement en perspective toutes ces bouillonnantes utopies, qu’elles soient toniques ou plutôt bécassotes, avec l’imaginaire subversif javellisé de nos temps.
Mais revenons à Thomas More, jambon à cornes ! Examinons pourquoi, selon Thierry Paquot, ce n’était pas uniquement un parfait crétin quoiqu’il ait été trésorier-adjoint du royaume, et chancelier, et conseiller d’Henri VIII, et buveur d’eau, et puis qu’il ait été béatifié à Rome en 1886 et canonisé en 1935 par le Vatican. Au programme de Saint Thomas : Abolition de la propriété privée. Les maisons « coquettes » et fleuries, équipées en fenêtres vitrées et dotées de jardins splendides, sont tirées au sort. Et on en change tous les dix ans. Abolition de la monnaie. Personne n’est plus noble ni plus riche qu’un autre. Gratuité. Sans contrepartie, on peut se fournir dans des centres d’échanges permanents et sur des marchés temporaires. Abolition des guerres. Vieillards choyés. Droit à l’euthanasie.
Mais, mais, mais, y a les hic. Famille. C’est le pivot social de base. Les plus séniles détiennent les vrais pouvoirs. Servitude. « Les étrangers », c’est-à-dire les prisonniers de guerre (tant qu’il y en a encore, des guerres) et les travailleurs immigrés volontaires constituent « les serviteurs ». Les premiers portent des chaînes mais ils sont mieux traités que les « utopiens fautifs », apprend-on. Éducation. Les élèves surdoués sont dispensés des travaux ordinaires. Nourriture. La cuisine est préparée par les femmes. Chaque repas, midi et soir, commence par une lecture édifiante. Pendant les repas, les hommes sont dos au mur afin que les femmes, si nécessaire, continuent à allaiter leurs nouveau-nés. Sexe. Pas de relations libidinales hors mariage. Pas de bisexualité, pas de jeux de séduction.
Alors les gustaves, malgré ses bons côtés, c’est-t’y une andouille ou c’est-t’y pas une andouille, le saint Thomas More ?
Cet article a été publié dans
CQFD n°150 (janvier 2017)
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Paru dans CQFD n°150 (janvier 2017)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 22.09.2019
Dans CQFD n°150 (janvier 2017)
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