Cap sur l’utopie / n°205

Des glaviots sur les saloperies établies

Quelques livres corrosifs récents qui ont fait bien trop peu parler d’eux, mille bombardes !

 L’Appel au socialisme (1911) de l’anar allemand hétérodoxe Gustav Landauer (La Lenteur, 2019).

Fustigeant l’étroitesse d’esprit des sociaux-démocrates marxisants de son temps, Landauer exhortait à l’expérimentation immédiate d’un socialisme anti-autoritaire fougueux. C’est ainsi qu’il prônait la collectivisation des terres et des moyens de production, la suppression de l’argent, la fédération des groupements autonomes tentant de « nouvelles formes de vie partagées ».

 Contre le fascisme – Textes choisis (1923-1937) de Camillo Berneri (Agone, 2019).

Sous la houlette du chercheur sachant chercher Miguel Chueca, un recueil canon des galvanisants écrits de combat du pamphlétaire extralucide Berneri, couvrant toute l’histoire du mussolinisme. Un sacré lascar qui finit par être assassiné par les staliniens à Barcelone parce qu’il n’arrêtait pas de vouer aussi aux gémonies le fascisme rouge, le communisme d’État, les « bonzes bolcheviques ».

 Bibliothèques en utopie – Les socialistes et la lecture au XIXe siècle orchestré par Nathalie Brémand (Presses de l’Enssib, 2020).

Où l’on apprend bien des choses inattendues. Saviez-vous, par exemple, que les premiers rebelles socialistes, dans leurs projets éducatifs, avaient tendance à décrier tous les « anciens livres », c’est-à-dire tous les livres qu’ils n’avaient pas écrits eux-mêmes ? Que l’utopiste Étienne Cabet proposait qu’on les brûle. Que l’anarchiste Joseph Déjacque précisait : « Personne ne les lit. Ce sont des langues mortes. » Que le prophète Victor Considerant les accusait de « faire le désespoir des enfants ». Mais le plus virulent critique des « livres civilisés », Charles Fourier, préconisait, lui, qu’après les avoir détruits, on les fasse renaître en les réimprimant par millions accompagnés cette fois de critiques au moins aussi volumineuses que les textes d’origine. Un traitement de choc que Fourier nommait « la métempsychose des bouquins ».

 Fils de voleur (1951) de Manuel Rojas, traduit magnifiquement de l’espagnol (Chili) par Robert Lorris (L’Échappée, 2021).

Un chef-d’œuvre étourdissant nous acoquinant avec des gibiers de potence chiliens « voulant choisir leur destin » tout en glaviotant sur les saloperies établies.

 Miquel Pedrola – une renaissance d’Amada Pedrola-Rousseaud (Les Éditions libertaires, 2021).

Le portrait haut en couleurs noires et rouges par sa vaillante fille d’un des fers de lance des jeunesses du Poum (Parti ouvrier d’unification marxiste) au parcours emblématique. Il adhère à 14 ans au hardi Bloc Obrer i Camperol (Bloc ouvrier et paysan). Rencontre sa future épouse Maria lors de meetings communistes. Fricasse des articles antifas enflammants dans le journal La Batalla. Est en première ligne pendant le soulèvement militaire du 25 juillet 1936 à Barcelone puis sur le front d’Aragon. Perd la vie le 20 août 1937 dans une embuscade franquiste, une semaine après son mariage avec Maria. Et c’est l’hommage des hommages que reçoit cette âme damnée du Poum quand Winston Churchill déclare sans rire : « Le Poum est une secte qui réalise la quintessence de l’immonde… Je tremble en pensant à ce que serait la victoire des trotskystes et des anarchistes. »

Noël Godin
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Cet article a été publié dans

CQFD n°205 (janvier 2022)

Dans ce numéro vert de rage, un dossier « Pour en finir avec une écologie sans ennemis ». Mais aussi : une escapade en Bosnie en quête d’étincelles sociales, l’inaction crasse du gouvernement envers les femmes handicapées, l’armée qui s’incruste à l’école, des slips chauffants, des libraires new-yorkais atrabilaires, des mômes qui attaquent Disneyland…

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