Bretagne

Thierry Merret : le faux-nez rouge

«  Moins de contraintes administratives, environnementales, fiscales et sociales », c’est le leitmotiv que Thierry Merret a asséné lors de la grande manifestation des Bonnets rouges à Quimper, le 2 novembre dernier. Coorganisateur du mouvement, il affiche clairement ses ambitions : enrayer le déclin de l’agro-industrie bretonne. Portrait.
Par Nardo.

Thierry merret, « monsieur Moins », est ainsi l’autre gros bonnet du Collectif « Décider, travailler et vivre au pays », sa cheville agricole, tandis que Christian Troadec, actuel maire divers gauche de Carhaix, endosse un rôle plus politicien. À eux deux, à qui il faudrait associer quelques mentors et seconds rôles1, ils rêvent d’un « printemps des Bonnets rouges », s’activant à la mise en place de cahiers de doléances, et d’imaginer une partition bretonne dans laquelle ils ne comptent pas jouer les figurants. Merret se voit bien en héritier des révoltés de 1675 ainsi qu’en continuateur d’Alexis Gourvennec, surnommé le « paysan directeur-général » et décédé en 2007, qui fut le meneur de la fronde des paysans du Léon dans les années 1960 pour la réorganisation du marché légumier, puis l’un des promoteurs du modèle agro-industriel intensif, à la tête de la société Kerjean, l’un des plus gros élevages porcins français.

Jusqu’aux démantèlements des portiques de l’écotaxe en Bretagne et l’apparition des fameux bonnets offerts par ArmorLux®, Thierry Merret, la cinquantaine, était connu comme responsable de la FDSEA du Finistère. Un agriculteur qui vote plutôt à droite, gère 30 ha de choux-fleurs et d’artichauts, emploie quatre salariés et confie atteindre difficilement le Smic à la fin du mois. Par ailleurs, il répète à l’envi qu’il est « finistérien, breton, européen. Mais jacobin, jamais ! » Hormis le centralisme français et parisien, il est surtout l’adversaire renommé et obstiné des « écologistes intégristes », des décroissants et autres « végétariens extrémistes », qui entravent le droit de l’agriculture à polluer à sa guise et que Merret juge responsables de «  la destruction volontaire, acharnée et méthodique de l’économie et de l’emploi en Bretagne ». Et le même d’ajouter dans une tribune d’Ouest-France du 27 août 2013 : « L’apologie des circuits courts et de l’agriculture urbaine, par exemple, est une ineptie qui conduit inexorablement au repli sur soi, au déclin. La Bretagne a toujours été une terre d’expédition ! Ne nous laissons pas faire, face à ces intégristes idéologiques enfermés dans leur tour d’ivoire. » Ainsi, la lutte contre l’écotaxe s’inscrit dans un combat plus large contre les « empêcheurs d’entreprendre [qui] ont pris le pouvoir » et que Merret nomme « la décroissance idéologique ».

Le 14 février dernier, son éditorial dans le bulletin de la FDSEA 29 a retenti comme une nouvelle déclaration de guerre : «  Qu’il s’agisse de la question de l’eau, de la performance environnementale des exploitations agricoles et des filières agroalimentaires, les associations donnent des leçons sur la gestion de nos exploitations, sur le cap à prendre pour l’avenir agricole et agro-alimentaire bretons ! Comme si nous, paysans, allions dire aux garagistes, aux enseignants, aux gendarmes comment faire leur métier !2 » Arguant de la supposée prérogative du paysan « maître chez lui », Merret, d’un ton comminatoire, défendait à quiconque l’exercice d’un droit de contrôle sur l’eau : « Cette intrusion des associations dans la gestion même de notre outil de production ne pourra rester sans réaction de notre part : la ligne rouge est franchie. » Dans le viseur, ces empêcheurs de polluer en rond de l’association Eaux et rivières qui a porté, dès 1992, le contentieux sur la pollution aux nitrates devant la Commission européenne. Il faut dire que l’addition s’annonce salée, car, depuis 2009, les autorités de Bruxelles menacent régulièrement la France d’une amende de plusieurs centaines de millions d’euros, assortie d’astreintes journalières de 130 000 euros pour la pollution par les nitrates, les pesticides et toute la chimie déversée par l’agriculture « conventionnelle » des réserves d’eau de surface et des nappes phréatiques, pollution affectant 19 000 communes en France et particulièrement concentrée dans le Trégor, haut lieu de l’élevage porcin, et la baie de Douarnenez.

Nombre de lanceurs d’alerte sur la pollution de l’eau ont eu à subir des intimidations diverses3. Contacté par CQFD, un responsable de l’antenne brestoise de l’association Eaux et rivières de Bretagne confirme avoir déjà eu maille à partir avec Merret, bien connu ne serait-ce que pour ses « dérapages verbaux ». Dans la nuit du 26 au 27 février 2007, ses locaux avaient été mystérieusement saccagés, peu après des actes de vandalisme sur ceux de Guingamp. Deux mois après les faits, Thierry Merret commentait l’incident lors d’une assemblée générale de son syndicat, où, en fin connaisseur de l’agit-prop, il accusait l’association écologiste – pourtant très légaliste – des manœuvres les plus tordues : « À la vue des photos qu’il m’a été donné de voir, je suis quasi sûr que ce ne sont pas des paysans qui ont fait les dégâts car, en colère comme ils le sont après cette association, rien ne serait resté. Par contre, subversifs comme ils le sont, bon nombre d’entre eux ayant été formés à l’école de Trotski ou de Bakounine, il ne serait pas étonnant qu’à des fins de publicité, ils aient en fait eux-mêmes tout organisé. » Plus tard, le 24 janvier 2012, lors de la séance d’examen de budget du conseil Régional, Merret avait déploré que l’« association [Eaux et rivières, ndlr] qui porte plainte contre les Bretons et met en cause des orientations prises dans le dossier des algues vertes soit soutenue politiquement et financièrement4. »

Par Nardo.

Mais au-delà de la « grande gueule » de Merret, ce qui inquiète les associations écologistes et les acteurs d’une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement, ce sont les signes avant-coureurs du triomphe du modèle agricole breton promu par la seule FDSEA. Avec le Pacte d’avenir, la reculade sur l’écotaxe, les projets de méthanisation, les « cathédrales » hors-sol de milliers pondeuses, le gouvernement Ayrault ne cesse de multiplier les gages en faveur d’une gestion de la terre funeste pour l’environnement et la qualité des emplois. Dernier exemple en date : la décision par décret5 de supprimer toute enquête publique sanitaire pour l’ouverture – désormais sur simple déclaration – d’une installation d’élevage porcin de 500 à 2 000 têtes. Tout est bon dans le lisier ?

La suite du dossier "Bretagne" c’est par là !


1 Pour les mentors, on pourrait chercher du côté des membres de l’Institut de Locarn et des grands patrons de l’agroalimentaire comme Alain Gron, Jakez Bernard ou Roger Capitaine, le patron de Saveol. À l’opposé du spectre politique, le pôle ouvrier animé par Matthieu Guillemot, qui vient du NPA, ou par les militants de la Gauche indépendantiste (voir l’interview de Mathieu Guillemot dans CQFD n°118) défendent encore dans les Bonnets rouges l’efficacité d’une force collective « qui vient d’en bas », représentative de la société bretonne.

2 « La Bretagne, sa culture, son agriculture… ses associations environnementales…  », 14 février 2014, www.terragricoles-de-bretagne.fr.

3 André Ollivro et Yves-Marie Le Lay qui ont révélé au grand public, en 2009, les cas d’intoxications mortelles de sangliers dus aux émanations de gaz issu des algues vertes, ont chacun subi de nombreuses tentatives d’intimidations : cadavre d’un renard déposé dans l’allée du domicile d’Ollivro, harcèlement téléphonique, manifestation d’agriculteurs devant chez eux et autres avis d’obsèques par courrier.

4 En plus de l’ironie de cette indignation – quand on sait la mise sous perfusion d’argent public de l’agriculture conventionnelle –, la fibre nationaliste, utilisée comme l’argument ultime de trahison, donne toute sa saveur à la subtile prise de position de Merret.

5 Journal officiel du 31 décembre 2013.

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