« Tenon » bon
Samedi 31 mars dernier, devant l’hôpital Tenon à Paris, des anti-IVG revêtus de robes rouges psalmodient des prières en latin et brandissent des crucifix ou des images de fœtus. Sur le trottoir d’en face, des passants attroupés regardent le groupe d’illuminés se livrer à leurs étranges rituels. Une habitante du quartier se plaint : « Ils sont là tout le temps, on n’en peut plus ! » Le petit marché du quartier est régulièrement étouffé par les cars de CRS qui bouclent les rues, par peur des affrontements. Une femme, révoltée, nous explique que la police ne s’est pas déplacée lorsqu’elle l’a appelée pour signaler une agression sur une jeune femme. Le motif ? Impossible de dépêcher des policiers sur place, tous les effectifs sont occupés à assurer la sécurité... des anti-IVG. Et ce samedi, elle est particulièrement bien assurée ! Après la manifestation, la police les escorte même jusqu’à leur station de métro. Le dispositif policier réjouit les anti-choix, comme on peut le lire sur le site de l’organisation SOS Tout-petits qui a appelé au rassemblement : « Pour la première fois depuis l’été, nous n’avons pratiquement pas été dérangés par les contre-manifestants. »
Quelques rues plus loin, ces fameux contre-manifestants chantent, rient et scandent des slogans pour le droit à l’avortement. Je suis dans la manif’, avec les autres, encerclée par un cordon de CRS, parquée loin du centre IVG. Il est impossible de quitter le groupe sans prouver que l’on habite le
quartier. Une femme âgée, revenant du marché en traînant son panier, est refoulée par un CRS. Elle se tourne alors vers moi et, après avoir entendu les motifs de notre rassemblement, m’assure de son soutien. Puis elle s’adresse aux CRS : « La France est devenue un pays qui pue ! » Un des encasqués lui répond : « Vous me dégoûtez, madame ! »
Moi aussi, aujourd’hui, je suis dégoûtée. Dégoûtée d’être dans une « contre-manifestation », d’être sur la défensive et non dans l’offensive. Dégoûtée d’en être encore là, près de quarante ans après le vote de la loi Veil. Tandis que je rentre de la manifestation, je croise des habitants du quartier observant les cars de la police nationale, entre colère et lassitude. Ils ont le sentiment d’être en temps de guerre, et ils ont raison... C’est bien à une guerre contre les droits des femmes qu’on assiste. Et elle n’est pas prête de s’arrêter, bien au contraire : les anti-IVG appellent déjà à de nouvelles prières de rue, le 12 mai prochain. Nous y serons. Nous « Tenon » bon.
Cet article a été publié dans
CQFD n°99 (avril 2012)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°99 (avril 2012)
Dans la rubrique Les entrailles de Mademoiselle
Par
Illustré par Tanxxx
Mis en ligne le 25.05.2012
Dans CQFD n°99 (avril 2012)
Derniers articles de Mademoiselle
26 mai 2012, 18:15, par Martin Scriblerus
En guise d’éléments de réflexion sur le sens de la remise en cause du droit à l’avortement, je me permets de citer ici Christine Delphy, dont les analyses ont le mérite d’être justement formulées en termes résolument offensifs, et décortiquent la stratégie des ennemis des femmes :
"[...] l’interdiction de l’avortement n’est en somme que la dernière touche sadique apportée à l’oppression des femmes dans la sexualité. [...] [La] contestation du droit à l’avortement est une tactique classique de harcèlement et de guerre psychologique. Il peut paraître difficile d’appeler "psychologique" une bataille dans laquelle l’un des enjeux est la vie et la santé des femmes. Mais pour les anti-avortement, la vie et la santé des femmes sont des "pertes collatérales", comme disent les militaires depuis la guerre du Golfe. Leur premier objectif - et là encore ils ne se distinguent pas tellement des distingués militaires - est de démoraliser les femmes, de leur contester la qualité de personnes humaines à part entière. Ceci est accompli de deux façons quand on renvoie les femmes à l’avortement clandestin : d’une façon directe, puisque la libre disposition de leur corps, le droit à l’intégrité physique, sont déniés à la moitié femelle de la population. mais aussi de façon indirecte quoique très matérielle : car la dignité d’une femme, et donc sa conviction qu’elle est une personne, sont fortement ébranlés par l’expérience des humiliations et dangers de l’avortement clandestin.[...] Dans l’analyse que font les féministes aujourd’hui, voilà les buts poursuivis par le combat actuel contre l’avortement : non pas un but nataliste[...], non pas un but "humanitaire" car les anti-avortement n’ont que faire de la vie humaine. Leur invention du foetus comme "personne" est purement tactique. Au début du [XXème] siècle, les femmes étant mineures, incapables civilement et démunies de droits politiques, on pouvait interdire l’avortement sans autre forme de procès. Aujourd’hui que les femmes sont des citoyennes, que leur statut de personne est garanti par toutes les constitutions et les conventions sur les droits humains, à commencer par la charte de l’ONU, il est plus difficile d’attaquer leur droit à l’intégrité physique. C’est pourquoi il a été nécessaire pour ceux qui veulent revenir sur ces droits, d’inventer dans un premier temps un "conflit" d’intérêt, non pas entre l’Etat et la liberté des femmes, car cela ne marcherait plus, mais entre une personne et une autre : entre la femme et le foetus promu au rang de personne. [...]"
(extrait de "Genre et classe en Europe", paru initialement en 1996, republié dans l’excellent L’ennemi Principal - tome 2, Penser le genre, Syllepse 2001)
Les anti-avortement sont bien sûr résolument réactionnaires, mais il ne faut pas se méprendre sur le fond de leurs motivations. Derrière le prétexte de défense "humaniste " des foetus, il s’agit pour eux, essentiellement, de s’en prendre directement aux femmes et au peu de reconnaissance qu’elles ont pu conquérir.
6 juin 2012, 22:36, par Gonzague Swift
C’est une guerre qui est plus généralement faite par les riches contre les pauvres. Elle inclue la guerre faites aux femmes (pauvres)....