Laurent Joffrin se foutrait-il ?
Dans Le Nouvel Observateur (rires), cette semaine, le taulier, Laurent Joffrin, pique une monstrueuse colère contre « l’hebdomadaire mondialement connu The Economist », qui a eu, quelques jours plus tôt, l’à peine croyable effronterie de narrer que « la France » est à son avis « dans le déni des réalités économiques les plus élémentaires », et de lui dispenser une sévère leçon de capitalisme, du style, maintenant, les mangeurs de grenouilles, faut vous réduire la dépense publique, ou sinon vous allez finir comme des putains de Grec(que)s.
Ça lui gonfle si fort les winnies, à Laurent Joffrin, qu’il se met à gueuler, dans un éditorial, que The Economist, « contrairement à ce que beaucoup de Français pensent », n’est pas du tout « un journal impartial » (comme est par exemple Le Nouvel Observateur [rires]), mais bien, plutôt, une publication dédiée au soutien, « par tout moyen », du « libre-échangisme » et de « l’économie de marché », qui « défend les thèses les plus libérales avec une rigidité exemplaire » – et bim, prends donc ça dans ta gueule, maudit Rosbif.
The Economist ? C’est un « perroquet journalistique » qui, « quels que soient l’année, la saison ou le siècle, soutiendra qu’il faut diminuer les impôts, alléger les règlements, faire reculer les funestes idées d’égalité ou de justice, et surtout oublier Keynes et tous les socialisants de la terre ».
The Economist ? C’est un « périodique militant et dogmatique », dont les « articles, tous issus du même moule, défendent depuis un siècle et demi les mêmes idées sommaires et immobiles ».
The Economist ? « C’est la Pravda du capital » !
Hurle, complètement démonté, Laurent Vissarionovitch Joffrin – et la preuve de sa totale nullité se voit dans ce qu’au début de 2008 The Economist n’a rien vu « venir de la crise financière qui allait se déclencher six mois plus tard », ha, ha, ha, quels gigantesques fombs, ces Angliches.
Mais ce Laurent Joffrin, vas-tu me demander : c’est bien le même, qui depuis trois décennies, et quelles que soient l’année ou la saison, psalmodie les vertus de l’économie de marché ?
C’est bien le même, qui depuis trois décennies n’a eu de cesse que d’exiger qu’on mette à bas « la masse grisâtre » de l’État français, et que de perroqueter en se frisant les poils du menton qu’il fallait alléger les pesants règlements qui empêchaient que s’épanouisse pleinement la libre entreprise, façon Puy-du-Fou ?
C’est bien le même que pâmait, en mai 2008 (six mois avant la crise financière dont il s’esbaudit que The Economist ne l’ait pas sentie venir), que le « socialiste » Manuel Valls ose vénérer sans tabous les « valeurs du marché » ?
Si fait : c’est bien le même.
Mais si c’est le même, me demanderas-tu, et s’il juge dogmatique le Briton qui redit ce que lui-même dit depuis trente longs ans : se foutrait-il ?
De nous, oui, je le crains – ou peut-être compte-t-il seulement que nous avons la mémoire courte.
Cet article a été publié dans
CQFD n°99 (avril 2012)
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Paru dans CQFD n°99 (avril 2012)
Dans la rubrique Rage dedans
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Mis en ligne le 05.06.2012
Dans CQFD n°99 (avril 2012)
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