Du pinard, pas des hangars !

Système U sème sa zone

La grande distribution débarque dans l’arrière-pays héraultais. Mais certains « arriérés » rechignent à se laisser bouffer le foncier. Un débat enflammé s’engage : sur l’avenir de la paysannerie, l’agressivité commerciale des hypers, l’emploi et les mutations du paysage… Bilan provisoire.

ZONES INDUSTRIELLES, zones artisanales, zones commerciales, zones d’aménagement « concerté »… Partout c’est la zone. Périphériques, autoroutes et migration salariée viennent parachever le massacre. Fans d’agglomérations dégueulant leurs horreurs urbanistiques sur les campagnes environnantes, les aménageurs du territoire bétonnent à tout va les espaces jusqu’à présent épargnés par le progrès. Et s’il vous plaît, on ne moufte pas, car tout ça « crée de l’emploi » !

À Clermont-l’Hérault, dans l’arrière-pays montpelliérain, les élus se sont mis en tête d’implanter une ZAC sur la Salamane pour, entre autres, y installer une centrale de distribution Système U, en place et lieu de 70 hectares de vigne. Et la communauté de communes du Clermontais de lâcher les biffetons à hauteur de quatre fois le prix du foncier estimé par la Safer1. De quoi appâter des exploitants malmenés par les ressacs du marché viticole. Mais la spoliation de terres agricoles par une multinationale de la distribution alimentaire en a hérissé plus d’un. Un collectif2 a déposé un recours au tribunal administratif de Montpellier pour non-respect des règles du droit de la concurrence, abus de position dominante en l’espèce, illégalité des stipulations relatives à la fiscalité locale… Le recours n’étant étudié que dans un ou deux ans, le collectif a organisé débats et réunions publiques : faute

par ferri

de concertation, on prend la parole ! Ces larges assemblées ont fait émerger des réflexions agitées, parfois prosélytes, où paysans-vendeurs, alternatifs remontés, édiles encartés et autres habitants de la vallée sont venus s’expliquer. « Moi, ça me fait doucement rire de vous entendre parler d’agriculture… Je ne vous vois jamais aux manifestations à Montpellier… Il y a vingt ans, avec tout le village, on remplissait des cars !  », s’écrie un vigneron. Les premiers échanges ont été tendus entre viticulteurs prêts à se déposséder à bon prix d’un « capital contre-productif » et voisins découvrant les réalités d’une agriculture en crise. « Qui ici voudrait payer pour travailler ?, s’énerve un agriculteur. Au moins, cariste à Système U, on gagne quelque chose ! »

Entre campagnes d’arrachage, difficulté de transmission et surendettement, la braderie du monde agricole est au coeur des discussions. Le risque de gommer le caractère paysan de la vallée de l’Hérault est déploré par certains : « Ce qui est scandaleux, c’est le prix offert. À hauteur de 6 euros du mètre carré, tout le monde vendra, et ce prix deviendra la norme. » Certains jusqu’au-boutistes proposent d’exiger plus : « La vraie valeur d’une terre agricole, c’est bien plus que ça ! » Rapidement, les arguments défendus par les opposants sont repris par les promoteurs du « développement ». On met en exergue les terres non exploitées, on propose çà et là des parcelles pour installer des agriculteurs « bio », on s’assure le concours d’études environnementales et de « compensations »… Bref, les arguments anti-système U sont repris par les « pro »… Car le passage d’un territoire rural à un espace péri-urbain, ou « rurbain », s’appuie sur l’actif laisser-faire des décideurs. Les responsables syndicaux et les élus de la chambre d’agriculture ont brillé par leur absence, mis à part quelques membres de la Conf’.

Personne pour faire le bilan des destructions d’emplois engendrées, personne pour valoriser les possibilités de développement d’une activité locale – diversification, création d’emplois socialement utiles… Un syndicaliste soulignait pourtant la situation stratégique de la vallée qui, au lieu de crouler sous le béton et les camions, pourrait être « la vitrine d’une agriculture moderne, avec ateliers de transformation, magasins de producteurs, ateliers de petite découpe, meule à façon… » Mais en attendant la décision de justice, les discussions prennent parfois un tour amer.

En septembre, lors d’une manifestation viticole à Montpellier, Philippe Vergne, porte-parole des vignerons du Midi, annonçait : « Au cours de la dernière campagne, les prix des vins de pays pour le consommateur ont augmenté de 14 %, alors que le prix payé au producteur était en recul de 9% […] La grande distribution se gave… » Quant à Serge Papin, le tout-puissant patron de Système U, il vient de publier avec Jean-Marie Pelt, pape radiophonique du développement durable, un bouquin intitulé Consommer moins, consommer mieux…


1 Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.

2 Collectif de défense de la Salamane agricole : http://salamane.hautetfort.com/.

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