Pas les blonds réfugiés
Sur des îles impossibles
Des îles, de Marie Cosnay, est un livre qui en annonce d’autres. Il regorge d’histoires venues de là où l’Europe voudrait oublier la sienne, faite d’émigrations, d’expéditions, de mondialisation fracassante. « Une fois, au village, une vieille femme était avec son sanglier attaché près d’elle. Détache-le, a dit un guérisseur à qui les génies avaient donné la force, détache-le, c’est un homme. Elle a refusé, alors le guérisseur a montré l’homme, les fétiches se sont ramenés. La vieille a eu honte, tout le monde l’a vue sorcière. Une sorcière qu’on sait sorcière a honte, elle perd le pouvoir. » Europe sorcière, Marie guérisseuse ? En tout cas, celle qui, dans une autre et même vie, est la traductrice des Métamorphoses d’Ovide1, met sa plume au service d’un récit polyphonique, des vies de dizaines de voyageurs empêchés, bloqués dans le camp en flammes de Moria ou dans le centre de rétention de Las Palmas.
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« Maintenant, le travail c’est ça. Le travail, c’est chercher. »
Écrire dans le noir, à tâtons. Sur les traces d’une disparue, d’un fugitif, sur une île, sur Facebook, à la frontière. Dans son activisme vagabond, Marie Cosnay piste Makoko, Alphonse, Mustapha. Cette jeune femme, partie derrière son frère, est-elle tombée à la mer ou entre les mains d’un réseau de prostitution ? Ce garçon est-il retenu dans une prison secrète ? A-t-il été tué dans une rixe à Bilbao ? Ou alors se sont-ils évanouis dans la nature pour une raison bien à eux : la honte d’avoir échoué à aider la famille ou la volonté d’échapper à la domination masculine ?
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Cosnay parle avec une policière de Frontex2 croisée à l’aéroport de Lesbos, puis se mêle aux recluses de Moria qui manifestent. Elle rencontre des personnes (comme Ulysse), leur épargnant les étiquettes : migrants, clandestins, réfugiées, exilées… Avec elles, Marie affirme une présence au monde que les politiques migratoires voudraient effacer.
L’autrice évoque aussi les bébés alibis, les mariages arrangés, les vrais-faux récits pour obtenir un statut, le droit de vivre… Qui est responsable de ces menteries ? L’individu ou l’injustice géopolitique des îles en cul-de-sac, des mers comme des murs ?
« Tant qu’on cherche quelqu’un, il est vivant. Chercher sans sentir vibrer, vivant, celui qu’on cherche est impossible. »
1 L’Ogre, 2017 ; Le Livre de poche, 2020.
2 L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.
Cet article a été publié dans
CQFD n°208 (avril 2022)
Dans ce numéro d’avril peu emballé par les isoloirs, un maousse dossier « Crime et résistances » sur la guerre en Ukraine, mais aussi : le bilan écolo pas jojo de Macron, une plongée dans le « théâtre » de la frontière à Calais, le « retour de Jim Crow » aux États-Unis, une « putain de chronique », un aperçu du désastre d’Azincourt, une dissection du cirque électoral, une évocation des canards perdus au pays des cigognes…
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Paru dans CQFD n°208 (avril 2022)
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Mis en ligne le 29.04.2022
Dans CQFD n°208 (avril 2022)
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