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Mémoire vive

Spartacus n’est pas mort !


paru dans CQFD n°216 (janvier 2023), par Benoît Godin, illustré par
mis en ligne le 22/01/2023 - commentaires

La doyenne des maisons d’édition militantes disparaît… pour mieux perdurer. Ce 1er janvier, les éditions Spartacus sont devenues une collection chez Syllepse. Une transmission rare et réjouissante.

Le tout premier ouvrage publié par les Cahiers Spartacus, Seize fusillés de Victor Serge, dénonçait le premier des grands procès staliniens en URSS. C’était en 1936. C’est dire l’incroyable pan d’histoire sociale et politique que représente ce qui deviendra par la suite les éditions Spartacus. Dans leur catalogue, on retrouve pêle-mêle d’importants noms des luttes sociales du xxe siècle, comme Piotr Archinov, Paul Mattick, Rudolf Rocker, Maurice Dommanget, Daniel Guérin ou encore Rosa Luxemburg, figure du soulèvement spartakiste de 1919. Car c’est d’abord à ce mouvement révolutionnaire allemand, plus qu’au célèbre meneur de la révolte des esclaves sous la Rome antique, que fait référence le nom de cette maison quasi nonagénaire.

Pour Daniel Guerrier, président de l’association des Amis de Spartacus qui gérait les éditions, cette longévité s’explique d’abord par une absence de dogmatisme : « Nous avons toujours veillé à ne pas devenir l’officine d’une petite secte d’ultra gauche. Nous nous inscrivons dans une vieille tradition marxiste, conseilliste, syndicaliste-révolutionnaire… Pour schématiser, à la gauche de Lénine. Mais nous refusons d’avoir une ligne tranchée. Nous n’avons d’ailleurs pas tous les mêmes opinions politiques au sein des Amis.  » Un éclectisme qui a pu en défriser certain : « Pour les anars, nous étions trop marxistes, pour les marxistes, trop libertaires ! »

Les éditions Spartacus n’auront toutefois jamais cessé de porter l’éducation populaire chère à leur fondateur René Lefeuvre. Ce maçon autodidacte, devenu correcteur de presse, aura créé, animé, financé souvent de sa poche l’entreprise. Mais il a également eu à cœur de la partager et la pérenniser, se souvient Daniel : « René est décédé en 1988, mais, dès 1979, il fondait l’association qui prendrait sa suite et on préparait le tuilage avec lui. »

« On a vu trop d’initiatives militantes indépendantes disparaître, et beaucoup de leur histoire avec »

Cette volonté de transmission, les successeurs de Lefeuvre se devaient de l’honorer. Constatant le ralentissement de leurs activités, les Amis de Spartacus, vieillissants et réduits à sept personnes, ont refusé la fatalité d’une mort lente. « On a vu trop d’initiatives militantes indépendantes disparaître, et beaucoup de leur histoire avec », se désole Daniel. Le collectif s’est d’abord attaché à ce que l’intégralité du fonds soit correctement conservée dans des espaces aussi bien militants qu’universitaires. Passé ce travail patrimonial, restait à trouver comment poursuivre l’aventure et en premier lieu comment assurer la circulation des nombreux titres encore dignes d’intérêt aujourd’hui – 78 ouvrages ont été retenus, soit plus ou moins la moitié du catalogue.

Les éditions Spartacus redeviennent ainsi en ce mois de janvier les « Cahiers Spartacus », une toute nouvelle collection chez Syllepse. Une maison d’édition elle aussi associative, « ayant des liens organiques avec le mouvement social, et dans laquelle nous avons confiance », explique Daniel. Qui précise que des conditions ont tout de même été posées : « Qu’ils fassent réellement vivre Spartacus ! Qu’ils poursuivent la diffusion des quelque 8 000 volumes que nous leur cédons, qu’ils rééditent les ouvrages épuisés qui le méritent. Et qu’ils continuent à enrichir la collection si d’aventure ils repèrent des textes qui y auraient leur place. » Une transaction à zéro euro : « On donne tout, cadeau ! Nous sommes une structure non commerciale qui a toujours été animée par des bénévoles, et de toute façon, on arrête. Le plus important est d’assurer la pérennisation de Spartacus. Mais c’était assez drôle de voir ces anticapitalistes notoires l’accepter difficilement. En bons marxistes pour qui tout a une valeur, ils souhaitaient nous payer un minimum ! »

Saluons un passage de relais trop rare. Et espérons que cette nouvelle vie chez Syllepse sera l’occasion de redynamiser un fonds peu visible ces dernières années, la faute notamment à des choix graphiques pas toujours très engageants. Que Spartacus, pour reprendre les mots de Lefeuvre, nous « arme idéologiquement » et nous « prépare à la lutte sur tous les terrains » encore un bon bout de temps !

[/Benoît Godin/]



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Par Benoît Godin


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