Roger s’est arraché

En avril 1987, Roger Knobelspiess déclarait devant la cour d’assises de Rouen : « J’ai été gracié [en 1981], mais cela ne ramène pas les années de vie dont on m’a amputé. Je suis un homme coupé en deux. La justice me doit quinze années de ma vie. C’est à elle de me rendre des comptes. Je me bats contre l’appareil judiciaire. Mon rôle est de bafouer la "justice". Ceux qui jugent ne savent pas ce qu’est une prison.

[...] Que cherchez-vous en étalant cette litanie de misères ? (son enfance, NDLR) Un alibi de bonne justice ? Les magistrats sont bien placés pour savoir que ceux qui passent devant eux sont pour la plupart originaires des couches défavorisées de la société, des pauvres.

[...] Les policiers m’ont tiré dessus alors que j’étais sans armes assis dans ma voiture. Les policiers ont essayé de me tuer. Ils n’ont pas été poursuivis, pas inculpés de "tentative d’assassinat". Et moi, pour un vol de 800 francs que j’ai toujours nié, j’ai été condamné à 15 ans de prison. Alors je dis : il y a deux justices !

[...] Monsieur l’avocat général a demandé pourquoi, alors que les intellectuels m’avaient bien reçu, j’ai continué à fréquenter des "délinquants" ? Quand on a passé 20 ans de sa vie en prison, on ne se sent bien qu’avec ceux qui mangent le pain noir, le pain de la misère. [...] Mon combat littéraire était pour dire des vérités, pas pour faire de la littérature. [...] Je serai toujours un révolté. [...] Si le mépris avait des mains géantes, je lui dirai de vous étrangler, à droite comme à gauche.  »

En 2007, Roger Knobelspiess avait rédigé pour les éditions du Chien rouge la préface de la réédition du livre de son ami de galère Jacques Mesrine, L’Instinct de mort. La même année, confronté devant les caméras de télévision au criminologue Xavier Raufer, il avait invité cet industriel de la barbarie à poursuivre le débat à armes égales. Avec les poings…

Il aura passé 26 ans derrière les barreaux. Associé, entre autres, avec Mesrine et Taleb Hadjadj, il se sera battu contre les Quartiers de haute sécurité (QHS), publié textes et bouquins sur l’ignominie de l’enfermement. Il écrira, entre autres, l’excellent Roman des Ecamaux, portrait de son quartier et de son enfance. Poète, peintre, guerrier, il aura aussi approché le cinéma, notamment avec Jean-Pierre Mocky, et se sera amusé – en jouant de sa mauvaise réputation – avec des producteurs faisant du fric sur le dos du grand Jacques. Promeneur insatiable, il disait : « J’ai vu trop de portes fermées pour ne pas vouloir les ouvrir toutes.  »

Roger est mort le 19 février 2017. C’était un vrai pote.

Gilles Lucas, avec Gérard Lambert
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