Répression : Et les fraudeurs devinrent terroristes…
Suite à l’attentat raté du Thalys et à la boucherie du Bataclan, une loi de sécurisation des transports en commun frappe fort… sur les fraudeurs. Allez comprendre le lien. On a eu les militants anti-COP21 assignés à résidence dans le cadre de l’état d’urgence. On aura les fraudeurs et leurs mutuelles1 criminalisés par une loi visant le terrorisme. Car la fraude, Mesdames et Messieurs, contribuerait « à l’enracinement du sentiment d’insécurité » dans les transports. Dont acte.
La loi bénéficie d’une procédure accélérée. Fouilles, palpations, agents en civil et interdictions d’accès visent les terroristes qui se laisseraient ausculter la ceinture abdominale. Mais à considérer le nombre d’articles concernant la répression de la fraude, on voit d’un seul coup d’œil l’intérêt réel de la loi : satisfaire les exploitants de transports en commun pour qui la fraude représenterait un manque à gagner de 500 millions d’euros par an (300 pour la SNCF, 100 pour la RATP et 100 pour les entreprises de province). La panoplie des mesures anti-fraudeurs est gigantesque.
Alors qu’une part négligeable de la fraude serait « économique », est surtout visée la fraude dite « comportementale » telle que la défendent les « mutuelles de fraudeurs ». La loi prévoit ainsi deux mois de prison et 7 500 euros d’amende pour qui annoncerait publiquement « l’ouverture d’une souscription » visant à s’acquitter des contraventions. L’an dernier, deux adhérents de la mutuelle lilloise ont été réveillés par des encagoulés de la Brigade financière. Motif : incitation à commettre des crimes et délits par voie de presse. Ce délit n’existant pas – puisque la fraude est soumise au régime des contraventions –, les deux « mutuellistes » avaient été relaxés. La loi ayant horreur du vide, la voici comblée. Fraudes économiques ou comportementales, toutes seront visées. Le délit de « fraude habituelle » inventé par le gouvernement Jospin réclamait 7 500 euros aux pauvres qui ne s’acquittaient pas de dix amendes par an. Le nombre passe à cinq. Contre les fausses déclarations d’identité auprès des contrôleurs, la loi rend obligatoire le port de la carte d’identité et permet aux contrôleurs de communiquer avec les « administrations financières [et] les organismes de Sécurité sociale » pour récupérer les bonnes adresses. Elle prévoit aussi que la police municipale supplée les contrôleurs dans la rédaction des procès-verbaux. Et que les utilisateurs d’applis smartphones servant à localiser les contrôleurs soient punis de 3 750 euros d’amende et deux mois de taule. Parmi les fervents défenseurs de cette loi, on trouve le maire de Tourcoing, élu communautaire aux transports lillois, Gérald Darmanin (LR) : « La fraude est une maladie financière […]. C’est du vol contre la société – contre la société dite ‘capitaliste’ », déclara-t-il en commission. « On prend le compliment, s’amuse Rémi de la mutuelle lilloise, à la nuance près qu’en société dite “capitaliste”, on ne parle pas de vol mais de réappropriation ! »
Darmanin les a dans le viseur législatif, décidé à les mettre en cabane : « Avant de quitter son mandat de député, il réclamait cinq ans de prison pour les mutuellistes au motif que deux mois seraient une peine dérisoire par rapport au délit commis. » À quoi les socialistes en appelèrent à la proportionnalité de la peine… au risque de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel. Elle est belle l’unité nationale quand il s’agit de casser du fraudeur.
1 Chaque mois, les « mutuellistes » mettent dix euros dans une caisse qui paiera les amendes éventuelles.
Cet article a été publié dans
CQFD n°140 (février 2016)
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Paru dans CQFD n°140 (février 2016)
Dans la rubrique Billets
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Mis en ligne le 16.08.2018
Dans CQFD n°140 (février 2016)
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