Front populaire révolution manquée est un texte essentiel sur les mouvements révolutionnaires minoritaires des années 1930, en France.
L’auteur, Daniel Guérin (1904-1988), fils de la grande bourgeoisie parisienne rallié à la cause de l’émancipation, y raconte rétrospectivement sa traversée de cette décennie. Il rend hommage aux syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne et du Cri du peuple (notamment Pierre Monatte) avec lesquels il fit un bout de chemin. Puis il relate la montée des fascismes et la création du Front populaire (1934-1936). En 1935, ayant rejoint l’extrême gauche de la SFIO (la « Gauche révolutionnaire » de Marceau Pivert, qui tenait la fédération de la Seine), il devient un militant politique de premier plan, ce qui lui permettra, bien plus tard, de décrire avec beaucoup de souffle et de minutie les journées de grève générale du printemps 1936, les occupations d’usine, les mobilisations combatives et joyeuses. Mais aussi la décrue sociale, les récupérations et manœuvres d’appareils, la manif sanglante de Clichy du 16 mars 1937 au cours de laquelle le ministre de l’Intérieur « socialiste » Marx Dormoy fit tirer sur son aile gauche (5 morts), la scission à l’intérieur de la SFIO ponctuée par la naissance de l’embryonnaire Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) et, enfin, la marche à la guerre.
Chaque édition de Front populaire révolution manquée porte la marque de son époque. Publié une première fois en 1963, chez Julliard, le texte se voulait un hommage au socialiste révolutionnaire Marceau Pivert, récemment disparu. Il permit de rompre avec l’unanimisme bêlant à propos de l’action de Léon Blum. Il était également un témoignage à charge contre la SFIO colonialiste et le PC en (relative) voie de déstalinisation. Guérin, inlassable contempteur de l’ordre colonial, rappelait son action passée aux côtés des leaders naissants du tiers-monde (Bourguiba, Hô Chi Minh).
Réédité en 1970 et 1976 par Maspero, dans le contexte de l’après-68 et l’effervescence gauchiste, le texte – largement augmenté –, détaillait l’ampleur des mobilisations de 36 et la nécessité de dépasser les appareils politiques et syndicaux pour aller au contact du peuple et entrer en révolution.
Dans la foulée des grèves de novembre-décembre 1995, le livre fut réédité en 1997 chez Actes Sud/Babel par Gérard Guégan, ancien animateur des éditions Champ libre. Il s’agissait de convoquer la geste des minoritaires révolutionnaires et d’asseoir l’hypothèse de Daniel Guérin selon laquelle les mouvements sociaux futurs, dégagés de la double imposture stalinienne et social-démocrate, réaliseraient une synthèse émancipatrice avec le meilleur du marxisme et de l’anarchisme.
Aujourd’hui, l’heureuse idée de rééditer le livre incombe aux éditions Agone, en la personne de Charles Jacquier (animateur de la collection « Mémoires sociales »). Il s’agit à ce jour de la version la plus complète, puisqu’elle propose de nombreuses notices biographiques et corrige les quelques erreurs factuelles du texte d’origine. En le relisant, on reste parfois circonspect tant la béance avec la réalité politique contemporaine semble colossale : même le plus droitier des militants de la SFIO des années 1930 ne pourrait se reconnaître dans le discours proposé par l’aile gauche de l’actuel PS. Finalement, l’orientation « luxemburgiste » proposée par Guérin reste valide : ne déléguons rien, soyons acteurs de nos vies et de nos luttes.