Désastre japonais

Qué fin du monde ?

Suite au séisme, le Japon s’est déplacé de deux mètres quarante. Nous aurions pu espérer que cette catastrophe en amène certains à faire, eux aussi, un pas de côté. Mais un rapide tour d’horizon laisse à penser que les fondations des boursicoteurs et thuriféraires du nucléaire n’ont pas bougé d’un pouce.
par Soulcié

Vous aussi, vous les avez ressenties ? Pas les secousses, évidemment, mais la compassion, la crainte et la colère ? La compassion pour les 28 000 morts ou portés disparus suite au tremblement de terre et au tsunami. La crainte pour les victimes potentielles de l’atome de Fukushima. Et la colère contre ces nucléocrates constatant, le doigt sur la fuite, la tête dans le panache, que « l’impossible » est – ha ben oui, tiens… – possible.

Ce n’est point le cas de cet entrepreneur français au Pays du Soleil levant interrogé par la chambre de commerce et d’industrie (CCI) française de Tokyo. Il se dit inquiet car « le Japon ne sera pas le même après », et constate amèrement que « ce sera long pour que l’environnement dans lequel nous opérons retrouve une activité normale. » En espérant que le milieu économique s’en sorte mieux que l’aquatique, lequel a reçu des milliers de mètres cubes d’eau radioactive le 4 avril dernier.

D’autres, plus optimistes, sachant d’expérience qu’à l’économie malheur est bon, estiment qu’il y a tout à gagner dans ce « changement ». Un rapport de la Banque mondiale publié le lundi 21 mars soutient que « la croissance réelle du produit intérieur brut [japonais] sera négativement affectée jusqu’à la mi-2011 », certes, mais « la croissance devrait s’accélérer dans les trimestres suivants au fur et à mesure de l’accélération des mesures de reconstruction. » Nous disions : 28 000 morts et disparus ; des réfugiés contraints d’abandonner leur domicile contaminé ; des irradiés qui, un jour, seront mangés par leur crabe ; des gamins qui naîtront difformes… Tous seront heureux d’apprendre qu’ils ont participé à la croissance économique de leur pays.

Heureux comme un Warren Buffet, cet investisseur états-unien, troisième fortune mondiale, qui, selon La Tribune du 28 mars, pérorait récemment : « Si j’avais des actions japonaises, il est certain que je ne les vendrais pas. » Dans son monde – celui de la finance, et non celui de la compassion, de la crainte et de la colère – ce séisme est une chance : « Il est fréquent que quelque chose de subit comme ceci, un événement exceptionnel, crée réellement une opportunité d’achat. » Compris, les fervents défenseurs de la bougie-à-grand-mamie ? Au lieu d’asséner que, tout de même, ces centrales nucléaires, c’est un tantinet dangereux, dénouez les cordons de vos bourses pendant que celle de Tokyo dévisse sévère. D’ici peu, une vague de pognon déferlera à vos pieds !

Quant à la présidente du groupe nucléaire français Areva, Anne Lauvergeon, a priori la plus à même de la fermer en pareille occasion, elle déclarait le 16 mars dernier : « S’il y avait eu des EPR à Fukushima, il n’y aurait pas eu de fuites dans l’environnement. » L’EPR (European pressurized reactor) est ce réacteur nucléaire qu’Areva construit et compte refourguer à la planète entière, vantant son « niveau de sécurité » inégalable. Et avec lequel elle espère bien gaver de dividendes ses actionnaires. Car, hasard du calendrier, la boîte de Lauvergeon effectuait début avril son passage en Bourse, histoire désormais de vendre des titres estampillés radioactifs. « On se dirige vers un processus rampant de privatisation du groupe », rouspète dans La Tribune du 28 mars un administrateur CGT de la boîte. Rien de bien étonnant… C’est la fin du monde dans la salle des commandes de Fukushima, mais non dans celle des marchés.

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