Procès flash-ball
Quand les cognes en prennent pour leur grade
« La police dispose d’un certain nombre de trucs pour arriver à ses fins, trucs dont le principal est la brutalité pure et simple. »
(Amanda Cross)
Pour l’heure, le verdict n’est pas tombé. Il ne sera connu que le 16 décembre. Les trois cow-boys – Patrice Le Gall, Mickaël Gallet et Julien Vanderbergh –, qui ont sévi le 8 juillet 2009 écoperont peut-être d’une peine correspondant aux réquisitions du procureur : prison avec sursis assortie d’une radiation professionnelle et d’une d’interdiction de port d’arme. Il se peut également qu’ils soient relaxés, comme l’a réclamé l’effrayant avocat Franck Liénard, soudard des prétoires pathologiquement obsédé par la notion d’ordre 1. Difficile de savoir si « justice » sera faite. Ou si l’impunité policière (celle qui selon Irène Terrel, avocate des parties civiles, « fabrique des monstres »), sera encore une fois de mise.
Peu importe, au fond. Car l’essentiel est ailleurs. Pendant ces cinq jours de procès au Tribunal correctionnel de Bobigny, la donne s’est inversée : pour une fois, les victimes de violences policières ont pu donner leur version. Longuement. En détail. Et les flics – accusés comme soutiens – ont dû faire profil bas tandis qu’ils se voyaient signifier le mépris que leurs méthodes inspirent – à Montreuil comme ailleurs. Un grand bol d’air. Surtout après sept longues années d’attente.
Pour point de départ, la soirée du 8 juillet 2009 et son déchaînement de violence. Le déroulé de cette « chasse à l’homme » est désormais connu de tous, tant le procès a été médiatisé. On peut le résumer ainsi : ce soir-là, trois flics en surchauffe sortent l’artillerie face à une petite troupe de manifestants bien peu menaçants. Résultat : six tirs de flash-ball pour six blessés, dont l’un, Joachim Gatti, perd un œil. Carton plein. Et traumatisme général pour les manifestants présents.
Ils auraient pu lâcher l’affaire. Décider que ce combat était perdu d’avance, tant il est difficile de remettre en cause la parole policière. Sauf que non. Eux ont relevé la tête, prenant le temps de mâcher et remâcher leur colère, de minutieusement amorcer la contre-attaque, notamment via le Collectif 8 Juillet. Et c’est ce patient travail de préparation qui a fini par porter ses fruits, mettant en pleine lumière la brutalité d’une police sûre de son bon droit, même quand elle mutile.
*
Lors du dernier jour d’audience, l’impayable Me Liénard aura beau vanter la bravoure des forces de l’ordre, citant pèle-mêle les attentats du 13 novembre et les « kalach dans les rues », convoquant sans vergogne le spectre des « procès staliniens », dressant le tableau d’une police héroïque – « Ils exposeront leur vie pour nous sauver tous » –, divaguant dans les grandes largeurs – « La blessure de Monsieur Gatti peut être due à n’importe quoi » –, le mal était fait. Et bien fait. De ce procès, les flics sortent humiliés. Et pas seulement les trois « baqueux » accusés, piteux et brouillons. Car c’est toute l’institution policière qui en a pris pour son grade.
Ils étaient pourtant venus en nombre soutenir leurs confrères à la gâchette facile. Tous les jours, une bonne moitié de la salle leur était réservée. Un échantillon uniforme, à base de crânes rasés, de grosses carrures, de blousons de cuir, de sweats Lonsdale et de regards bovins. Pour éviter les tensions, eux avaient droit à leur propre entrée, loin des regards. Dans la salle, en civil ou en uniforme, d’autres policiers, de service pour l’occasion, complétaient ce tableau d’enfer : un prétoire rempli d’une soixantaine de flics.
Las. Rien n’y a fait. Dès les premières auditions du lundi, leurs trois protégés ont multiplié les bourdes et les incohérences. Tentant de décrire la soirée du 8 juillet comme une forme de guet-apens ultra-violent – « des pluies de projectile » auraient mis leur vie en danger –, ils n’ont convaincu personne, tant les témoignages des riverains présents ce soir-là étaient autrement plus solides. Ils ont mandaté des experts en balistique qui ont piteusement avoué leur incompétence en la matière. Ils ont vu le procureur les remettre à leur place. Ils ont enduré quelques chahuts énergiques (« dehors les agresseurs ! ») et la présence d’une kyrielle de t-shirts « Gardiens de la paix, mon œil ! ». Surtout, ils ont entendu de nombreux témoignages à charge, détaillés, courageux, offensifs.
D’abord ceux des principaux concernés, les victimes du 8 juillet. Lesquels ont ainsi pu exorciser en partie le traumatisme subi : « C’était jouissif, explique en sortie d’audience Gabriel, blessé à la main ce soir-là. Les types qui m’ont agressé étaient obligés de m’écouter sans broncher. Ce genre de situation est très rare. » Une autre d’embrayer : « Peu importe le verdict. Il y aura au moins eu ce précieux moment de vérité sur leurs agissements. »
« Précieux », également, l’éventail impressionnant de témoins « de moralité » convoqués. Une manière de porter le débat hors du seul cas jugé, pour montrer que de telles pratiques relèvent du fonctionnement « ordinaire » de la police. Sont ainsi venus porter le fer :
Farid, ingénieur au discours tiré au cordeau, frère de feu Wissam el Yamni, battu à mort par la police le 1er janvier 2012 : « Il a jeté une pierre sur une voiture et les policiers ont choisi de se faire justice, exactement comme les gens qui se tiennent face à vous, les trois tireurs. »
Un représentant du collectif Stop Violences Policières, lequel a évoqué l’agressivité débridée des flics lors des manifestations contre la Loi Travail, parlant de « systématisation des violences policières » et détaillant les « fractures, hématomes, plaies ouvertes, fractures des os du visages » recensés en quelques mois.
Luce, impliquée dans une association d’aide aux migrants à Calais, ville qui selon elle « rassemble toutes les pratiques abjectes de la police française », soit : « injures racistes, vols de téléphone et de chaussures, gazages à bout portant, chasses à l’homme, etc. »
Pierre et Casti, qui tous deux ont perdu un œil après à un tir de flash-ball, l’un à Nantes, l’autre à Montpellier, lesquels sont revenus en détail sur la terrible mutilation qu’ils ont subie 2. Etc.
Pendant de longues heures, regards vides, mâchoires béantes, les pandores ont donc écouté ceux qui ont tant de raisons de se défier d’eux. Cette fois-ci, pas possible de s’échapper, de manipuler, d’intimider. Pris au piège. « Tout le monde déteste la police », voilà un slogan qu’ils ont sans nul doute déjà entendu. Mais leur avait-on déjà expliqué pourquoi ?
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Si ces cinq jours ont marqué une étape symbolique dans la lutte contre les violences policières, cela reste un embryon, un cas à part. « Aujourd’hui, vous jugez une affaire, s’emporte Farid El Yamni, mais combien sont enterrées ? Combien de vies brisées ? De gens qui deviennent fous ? »
Jeudi 24 novembre, au sortir de l’audience, Ali Alexis prononce un court discours sur le parvis du tribunal. Lui a été éborgné par un tir de flash-ball en 1999, alors qu’il revenait du supermarché, sachets de course à la main. Cela fait dix-sept ans qu’il essaye de porter son cas devant la justice, en pure perte. Il a pourtant tous les documents nécessaires, dit-il d’une voix triste, avant de sortir des dizaines de photocopies d’une pochette fatiguée. « Je n’ai jamais pu avoir de vraie confrontation avec la police, se lamente-t-il. Ils refusent de prendre en compte ce que j’ai subi, ont classé ma plainte sans suite. » Une pause. « Je ne comprends pas pourquoi ils visent toujours les yeux. »
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Croix-de-Chavaux, Montreuil. Ce 24 novembre, un rassemblement festif est organisé pour soutenir le Collectif 8-Juillet. Vin chaud et serrage de coudes. Juste à côté de la place du Marché, là où s’est déroulée l’agression policière de 2009, une dizaine de cars de CRS passent au ralenti, en direction dudit rassemblement. Ils s’arrêtent un temps, semblent prendre la température, puis repartent. Derrière eux, toutes sirènes hurlantes, une ambulance du SAMU.
1 Un portrait détaillé de ce sympathique personnage est disponible sur Paris-Luttes Info.
2 Pierre Douillard est par ailleurs l’auteur d’un petit ouvrage très recommandé : L’Arme à l’oeil - Violences d’état et militarisation de la police, aux éditions Le Bord de l’Eau.
Cet article a été publié dans
CQFD n°149 (décembre 2016)
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Paru dans CQFD n°149 (décembre 2016)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Rémi
Mis en ligne le 05.12.2016
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