Sur la Sellette - Chroniques judiciaires
Jobs d’été
Les deux garçons d’une vingtaine d’années qui comparaissent dans le box jettent des regards anxieux vers leurs familles.
Ils sont accusés d’avoir été complices d’un trafic de drogue pendant un mois.
« Vous avez intégralement reconnu les faits : vous receviez les consignes par Telegram et vous conditionniez la drogue en attendant que le livreur vienne la chercher. Vous étiez payés 200 € par jour. Comment en êtes-vous arrivé là alors que les offres d’emploi pour l’été sont innombrables ? » questionne la présidente du tribunal correctionnel.
L’un d’eux explique timidement qu’ils sont six dans la famille, qu’il n’y a que le père qui travaille, que lui n’a pas le permis et que le seul travail qu’il avait trouvé obligeait sa famille à l’y déposer à 4 h du matin. Peu importe, la présidente continue : « Quand on pense qu’actuellement des restaurants sont obligés de fermer l’après-midi parce que les employeurs ne trouvent pas de saisonniers ! [S’adressant au second] Et vous, depuis combien de temps ne travaillez-vous plus ? – Depuis un an. – Pourquoi avez-vous arrêté ? »
Dans un murmure, il répond que le travail sur le chantier était très dur.
« Si ça ne vous convenait pas, vous pouviez tout de même changer de secteur, non ? » insiste-t-elle. Aucun des deux n’a de casier, la présidente s’en inquiète : « Ça montre une banalisation telle que n’importe quel jeune qui ne veut pas faire l’effort de travailler va se tourner vers la vente de drogue. »
La procureure commence ses réquisitions de manière un peu mélancolique : « Il est toujours douloureux pour le parquet de constater que le risque judiciaire lié au trafic de drogue n’est pas pris en compte par les jeunes gens. »
Cependant, en raison de leur jeune âge, de leur pleine reconnaissance des faits et de l’absence d’antécédents, elle demande une peine qu’elle estime légère : « Trois ans de prison, dont deux avec sursis probatoire. Concernant les douze mois de prison ferme, je ne suis pas opposée à l’aménagement sous forme de détention à domicile. »
Comme il ne s’agirait pas d’avoir l’air laxiste, elle précise immédiatement : « Le bracelet, ce n’est pas forcément un cadeau : sur un an, c’est très difficile à tenir. »
Ce qui n’empêche pas les deux avocat·es de se féliciter d’une telle modération dans leurs plaidoiries. D’ailleurs, pour l’une, son client « n’est pas un mauvais garçon, ni un délinquant [c’est] seulement quelqu’un de malléable et d’influençable ». Son confrère, lui, se réjouit que cette audience « fasse œuvre de pédagogie » et juge même que tout espoir n’est pas totalement perdu : « Quand on a un casier vierge, il est encore possible – peut-être – de parvenir à s’extirper de la délinquance. »
Le tribunal est au diapason et suit les réquisitions du parquet : ils feront un an de prison sous bracelet, l’un chez ses parents, l’autre chez sa sœur, suivi de deux années de sursis probatoire avec obligation de travailler et de passer le permis.
La présidente veut que chacun prenne la mesure du geste : « C’est une peine très modérée par rapport à la gravité du dossier. »
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Cet article a été publié dans
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Paru dans CQFD n°233 (septembre 2024)
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Mis en ligne le 12.09.2024
Dans CQFD n°233 (septembre 2024)
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