Cap sur l’utopie

Quand « l’audace devient sagesse » (Machiavel)

« Il tumulto dei ciompi », Giuseppe Lorenzo Gatteri, circa 1830

Continuons à glaner éhontément dans l’histoire des soulèvements d’hier quelques bons plans pour réussir les émeutes d’aujourd’hui. un précieux petit livre de poche, édité en octobre dernier par les francs-tireurs de l’Insomniaque, nous plonge dans ce qui serait, selon nos loustics, « la première révolte ouvrière majeure », celle des Ciompi1. une révolte qui nous est racontée par Nicolas Machiavel lui-même2 dans des épisodes de ses volumineuses Histoires florentines (1520-1526) reproduits ou évoqués dans l’opuscule de l’Insomniaque, qui s’intitule quant à lui Florence insurgée – Le Tumulte des Ciompi (1378). Il est caustiquement préfacé par le virulent auteur de Beau comme une prison qui brûle, Julius van Daal sous le pseudo de Pagolo della Boda.

Le contexte de la mutinerie : nous sommes en 1378, de fin juin jusqu’à fin juillet, dans la cité toscane du lys rouge, Florence, qui personnifie le règne des banques et du négoce. Là, les « sottopisti », à savoir les couches les plus sous-sous-payées de l’artisanat textile florentin composées maille à maille de « gens inutiles et de viles conditions, grossiers, sales et mal vêtus3 », commencent à en avoir ras-les-fibres du « popolo grasso » les surexploitant. Et les ouvriers de la laine défoncent les portes des prisons, envahissent le palais du podestat4, brûlent les archives de la justice, du fisc et du cartel de l’arte della lana défendant les intérêts des riches fabricants de draps, pillent les monastères et les somptueuses maisons patriciennes, hachent menu (littéralement !) le très haï prévôt des gardes, pendent par les pieds le bourreau de Florence devant le Palazzo Vecchio et mettent en place une « balia », sorte d’assemblée insurrectionnelle mandatée par les « popolani minuti » (le menu peuple) et les autres insurgés pour en finir avec les seigneuries et jeter les fondements de la société de « l’homme libre de Dieu ».   C’est alors que, pour bien faire comprendre à ses lecteurs pourquoi les rebelles Ciompi, tentés d’en rester là dans leurs débordements, n’ont pas fait pour autant marche arrière, tout au contraire, Machiavel n’y va pas de main morte. Et de faire entrer en scène dans son récit des événements un harangueur imaginaire sulfureux renversant tout sur son passage. « Il nous faut donc, à mon avis, si nous voulons qu’on nous pardonne les vieux péchés, en commettre de tout neufs, en redoublant de forfaits, en multipliant incendies et déprédations. […] Il faut nous assurer le plus grand nombre possible de compères, car là où l’on est nombreux à mal faire, personne n’est puni. [...]Multiplier les méfaits nous vaudra plus facilement l’impunité et, de plus, les moyens d’obtenir ce qu’il nous faut pour être libres. » Et de conclure : « Dès que la nécessité presse, l’audace devient sagesse. »

Puissent les Gilets jaunes de demain tirer enseignement de cette harangue désarçonnante !

Ne pas refluer, mais en rajouter.

Noël Godin

1 Altération italienne du mot français « compère ».

2 Machiavel, le conseiller cynique des pires princes, du côté tout à coup du prolétariat en pétard ? Hé oui, expliquait-il très machiavéliquement : « Il est vrai que j’ai enseigné aux tyrans la manière de s’emparer du pouvoir, mais j’ai aussi enseigné aux peuples la manière de les renverser. »

3 Une description éructée par le Prieur des arts Alamanno Acciaiuoli.

4 Premier magistrat dans des villes soumises à l’oligarchie locale.

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CQFD n°207 (mars 2022)

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