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Prisons : Genepi, les dessous d’une punition
Le 29 octobre dernier, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, annonçait la fin du partenariat historique qui liait, depuis plus de quarante ans, la direction de l’Administration pénitentiaire (DAP) à l’association Genepi, qui intervient en prison au nom de la lutte pour le décloisonnement des institutions carcérales. Une décision aux conséquences directes pour les détenus : les ateliers socio-culturels organisés par le Genepi furent de facto annulés dans la plupart des centrales et autres maisons d’arrêt. Pourtant, l’annulation de la convention nationale n’empêchait pas la signature de partenariats locaux, mais la plupart des directeurs de prison ont profité de l’occasion pour mettre un terme à la relation qu’ils entretenaient avec l’association.
L’argument avancé par la DAP pour la rupture nationale ? Un désinvestissement des bénévoles sur le terrain, avec 80 % d’ateliers de moins en trois ans. Contactée par CQFD, Margaux Vessié, secrétaire nationale du Genepi, justifiait alors la baisse des interventions entre les murs par une dégradation des conditions d’accueil. Las de savoir les détenus fouillés intégralement après chaque atelier, écœurés de devoir supporter caméras et matériel d’écoute à chaque intervention, les membres du Genepi avaient choisi de revoir leur coopération à la baisse.
Surtout, Margaux Vessié nous confiait à l’époque qu’à ses yeux, l’argument de la baisse du nombre d’ateliers ne tenait pas : la fin du partenariat avait tout l’air d’une sanction politique. Elle ne s’y trompait pas.
En témoigne la note interne que nous nous sommes procurée. Envoyée au directeur de cabinet du ministère de la Justice le 22 avril 2018 par Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire, la missive motivait le refus de la DAP de reconduire le partenariat. Elle se concluait ainsi : « Dans ces circonstances, notamment les choix politiques de rupture de l’association et de mise en cause de la politique du ministère, de l’institution pénitentiaire, de son personnel et de ses collaborateurs, le partenariat est de fait remis en question. » On était donc bien loin de la version officielle qui justifiait la rupture de la convention par le refus de subventionner une association qui se désengageait des missions qui lui avaient été confiées. Derrière l’argument massue du gaspillage d’argent public se cachait en fait la ferme intention de censurer toute critique à l’encontre de la politique carcérale menée par le gouvernement.
À ce propos, les pièces jointes au courrier envoyé par la DAP au ministère de la Justice sont édifiantes : articles publiés dans la revue de l’association (Passe-Murailles), affiches de campagnes de com’, détails des publications du Genepi sur les réseaux sociaux... En haut lieu, on supporte visiblement mal qu’une association subventionnée par l’État se penche sur des questions aussi épineuses que celle du taux de suicide en prison. Dans son courrier, la DAP reproche également au Genepi d’avoir organisé une journée de débats autour des violences et de la répression policières. Les prises de position de l’association au sujet des déficiences des politiques de réinsertion viennent aussi s’ajouter à la longue liste de critiques.
Face à la pression des militants et au ramdam médiatique entourant l’affaire, l’administration pénitentiaire a finalement mis de l’eau dans son vin. Un nouvel accord a été signé le 14 février dernier, ce qui a permis la reprise des ateliers. Le hic, c’est que ce nouveau partenariat est largement à l’avantage de la DAP et du ministère. Les militants du Genepi ont en effet dû lâcher du lest et s’asseoir sur les 50 000 € de subvention annuelle qui venaient de leur être sucrés et dont le retour n’est nullement envisagé.
Les objectifs de l’association ont également été redéfinis à la sauce ministérielle : alors que le Genepi s’inspirait depuis des années des principes d’éducation populaire, la DAP a tenu à replacer la lutte contre l’illettrisme au centre des missions de l’association en réaffirmant à cette occasion sa préférence pour un enseignement à sens unique. Dorénavant, en prison, la transmission des savoirs se fera de façon aussi verticale qu’un barreau de cellule.
Si les portes des centres de détention s’ouvrent à nouveaux aux bénévoles, l’équilibre de ce nouveau partenariat semble précaire et il y a fort à parier que son maintien ne se fera pas à n’importe quel prix. Dans cette affaire, celui du silence semble le mieux indiqué.
Cet article a été publié dans
CQFD n°177 (juin 2019)
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Paru dans CQFD n°177 (juin 2019)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Emilie Seto
Mis en ligne le 18.06.2019
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