Personne en face

par Tanxxx

« Défoncée », « démontée », « explosée », « aspergée », « matraquée », « martelée », « ramonée », « pilonnée », « bourrée », « déglinguée », « décapsulée », « déboîtée », « limée », « fistée », « laminée », « tringlée », « embrochée », « tronchée », « baisée  » : ces termes concernent les « putes », « salopes » et diverses « grosses chiennes » qui peuplent un site porno français très fréquenté. Il y en a pour tous les goûts : des vieilles (appelées « matures »), des blondes, des brunes, des rousses, des grosses et des moins grosses, des nanas classées par appellations d’origines contrôlées (« beurettes », « indiennes », « blacks », « asiatiques », « latines ») avec ou sans poils, des jeunes, des très jeunes (« teens »), etc. Sur ce site, on peut tout acheter, tout voir, tout satisfaire : le rayon est plein, bien achalandé. Y a de la « chiennasse » en veux-tu en voilà. Un peu comme au rayon PQ, on se torche avec ce qu’on veut : double épaisseur, triple épaisseur, parfumé, fleuri, rose, blanc, mauve. C’est fait pour ça. Tu veux de la « salope » à quatre pattes ou à genoux ? De la noire ou de la blanche ? Tiens, clique donc. Une vidéo présente par exemple deux très jeunes femmes, le visage recouvert de sperme ; l’une d’elles porte un appareil dentaire, comme une adolescente (qu’elle est certainement). Sous cette vidéo, un extrait tourne en boucle : on voit une femme « durement baisée » (comme l’indique le titre) par un homme, qui la tient par les cheveux pour la maintenir en place. Un peu plus loin, une vidéo invite le spectateur à assister à la première fois « douloureuse » d’une jeune femme, tandis que l’image extraite de la vidéo la montre grimaçante. Ici, les femmes ne baisent pas mais sont baisées. On les décrit systématiquement sur le registre militaire (on les « pilonne », les « matraque » et les « explose » comme on le ferait avec une « position » ennemie) ; ou sur le registre du bricolage, comme si les hommes étaient équipés de perceuses ou de marteaux-piqueurs. Ce sont des hommes-machines, musclés, bronzés, membrés, qui gesticulent comme des robots, maltraitant des femmes au visage déformé qui hoquettent et dont le corps finit par ressembler à celui d’une poupée gonflable désarticulée, déshumanisée, crevée et ouverte à tous les vents. Tout cela transpire une sexualité rabougrie et trouillarde, une sexualité qui ne veut pas s’épanouir entre humains mais se contente de crachoter frénétiquement, en s’assurant qu’en face il n’y a personne, à part peut-être, comme le titre une vidéo, « une poubelle à spermatozoïdes ».

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1 commentaire
  • 13 janvier 2012, 10:59, par Alcara Li Fusi

    Et oui... Indubitablement... Mais comme le cynisme le plus poussé triomphe cette société entretient la confusion entre lucidité et cynisme.... Je me trouvais à la terrasse d’un café cet été avec trois jeunes trentenaires. Deux véritables étalons et le troisième plus rondouillet. J’ai eu droit à un florilège des expressions que vous citez au début de votre article. Tout y est passé et ils riaient grassement. Ils se racontaient leurs expériences. Les deux étalons en avaient d’innombrables. Le rondouillet plus démuni riait tout de même. Ces cyniques accomplis ne sont pas les plus malheureux avec vos consoeurs. Tout au contraire. Pour connaître d’assez prêt leurs existences, je sais que ces deux étalons ont une dizaine d’aventures tous les mois. Les filles "s’accrochent" immanquablement. Ils les usent jusqu’à la corde. Puis les "largue". Ces filles aiment ce genre d’hommes. Ce n’est donc pas prêt de changer, ils sont encouragés par leurs grands succès. Aussi je trouve à votre différence et si l’on prend à tout hasard le cas d’un jeune homme qui se torche devant son écran plutôt qu’il ne "déboiterait" 15 filles par mois, en rirait grassement, qu’il est socialement moins dangereux. Pathétique sûrement. Puis il y a le pendant de ces deux étalons, des filles qui pratiquent pareillement. Quand ça se passe entre cyniques les dégâts sont limités, quand par hasard échoue dans leurs filets un coeur plus sensible et naïf, les dégâts sont plus considérables et peuvent aller jusqu’au suicide. Aucun de ces étalons, aucune de ces femmes qui pratiquent de la même manière, n’en ont la moindre conscience. Si vous rajoutez à cela le commerce des réseaux sociaux sur internet qui autorise les gens à des comportements légers, abjects, vous avez une très large partie de la population qui est "criminelle" en puissance. Tous ces idiots font où on leur dit de faire et de la manière dont il faut faire. Bien à vous

Paru dans CQFD n°94 (novembre 2011)
Dans la rubrique Les entrailles de Mademoiselle

Par Mademoiselle
Illustré par Tanxxx

Mis en ligne le 13.01.2012