CQFD

Dans mon salon

On y croit


paru dans CQFD n°233 (septembre 2024), par Pauline Laplace
mis en ligne le 12/09/2024 - commentaires

Trottiner d’un stand à l’autre, se glisser parmi les exposants, observer et prendre note, s’approprier un salon. L’été, les parcs d’expo sont en vacances, mais Lourdes n’est-elle pas le Salon de la vierge ?

Après 1858, sous l’influence d’une bergère aux récits convaincants [1], Lourdes devint par miracle la deuxième ville hôtelière de France [2]. De passage dans mes Pyrénées natales, je visite cet endroit pour la première fois, seule parmi une foule éparse (le pic du pèlerinage est dans quatre jours) et suintante. Il fait 37°. « Les bougies fondent ! » s’exclame une dame alors que j’entre dans le sanctuaire. Des cierges, tordus par la canicule, sont vendus à « prix d’offrande conseillé » (version catho du prix libre, mais réglable en CB). L’eau bénite, par contre, est gratos. De gros malinous en profitent pour remplir masse de bidons. Anticipation de la sécheresse à venir ? Valérie, qui vient de la Réunion deux fois par an (avec son mari et leurs sept enfants) raconte : « Quand on voit tout ça sur une carte postale, on n’y croit pas, mais quand on y est, on réalise que ça existe vraiment. » Sur des bancs installés face à la grotte, je tente de comprendre. Des personnes du monde entier, en file indienne, laissent glisser leurs mains sur la paroi. Un gamin goûte la pierre avec son doigt. Une femme en fauteuil roulant y frotte des dizaines de grigris. Des prières chuchotées dans toutes les langues résonnent autour de moi. La grotte paraît minuscule, écrasée sous la roche et surplombée d’une immense basilique. J’y grimpe. Là-haut, le spectacle est tout autre. Un organiste accompagne mollement une femme à la voix cristalline, type chanteuse pop. Des prêtres distribuent des hosties à la foule. Un homme se jette à terre, d’autres avancent sur les genoux. La choré manque de fluidité. Dehors, au centre d’une mosaïque, au-dessus de la vierge (s’adressant à Bernadette Soubirous), on lit : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans ce monde, mais dans l’autre. » De quel monde parle-t-on ? Réel ? Carte postale ? Et que « représente » Marie ? Pour Sylvie, elle est « joie » ; pour Évelyne, elle est « puissance maternelle ». On me dit les mots « lumière », « intercession », « guérison », « pilier », « bonnes ondes ». Junior, venu du Brésil, résume : « Marie, c’est tout. » Parmi les myriades de boutiques postées à l’entrée du site, j’entre dans celle de l’alliance catholique, estampillée « fournisseur officiel du Vatican ». Et en effet, « Marie, c’est tout. ». Elle est gourde ou bien bidon, elle est boule à neige, mouchoir, médaille, montre, casquette, assiette, lampe, bougie, verre à shooters, flasque à whisky, pilulier… La tête me tourne. Vais-je avoir une vision ? Karim, employé de la boutique d’à côté, aime voir le monde entier passer devant ses yeux. « Plus de cinq millions de visiteurs par an », dit-il. À la question « que représente Marie ? », il répond « le boulot ». L’évocation des conditions matérielles d’existence fait un flash dans ma tête. Je sens la « lumière » et tout le reste. Je crois que ça y est, bordel, j’ai la foi. Travailleurs de tous les bénitiers, Amen.

[/texte et photo Pauline Laplace/]


Notes


[1En 1858, Bernadette Soubirous témoigne de plusieurs apparitions de la vierge reconnues par l’Église en 1962, faisant de Lourdes un lieu de pèlerinage international.

[2. 140 hôtels pour 13 500 habitants



Ajouter un commentaire

Par Pauline Laplace


Dans le même numéro


1 | 2 | 3

Voir





Anciens numéros



Spip ø Squelette ø Ce site ø Suivre la vie du site RSS 2.0 ø Naviguer en https ø Soutenir CQFD ø Contacts ø Affichage pour mobiles