Dossier « Culture du viol »

On cultive encore les monstres

Avec l’affaire de Mazan, certains médias ont enfin parlé de « culture du viol », mais cela n’a suscité que trop peu de débats de fond. Globalement, on nous raconte l’histoire de Mazan et ses 49 violeurs comme celle de l’ogre Depardieu : avec frissons et effroi. Ces contes n’ont qu’une seule vocation : nous faire croire aux monstres.
Manon Raupp

Sans grande surprise, ces derniers mois furent encore riches en dévoilements d’affaires de viols et d’agressions sexuelles. Après les multiples dossiers liés à l’abject Gérard Depardieu (soutenu par notre cher président !), les accusations de Judith Godrèche pour viol sur mineure contre le réalisateur Benoît Jacquot ou les révélations sur le prédateur abbé Pierre cet été, on enchaîne avec une rentrée les yeux rivés sur le procès des viols Mazan. En réaction, ce 14 septembre dernier, des manifestations ont été organisées un peu partout en France. Découvrant soudainement que les viols existent en dehors des méfaits de quelques pervers ou agresseurs de parking, les médias embrayent. On voit même les rédactions parler de « culture du viol », dont l’affaire Mazan serait une nouvelle démonstration.

Déjà en 2012, suite à trois affaires de viols en réunion1 qui avaient scandalisé l’opinion, la presse mainstream états-unienne avait fait sortir ce concept sociologique des sphères universitaires. Le temps serait-il venu d’avoir une illumination collective sur les tenants et les aboutissants de la culture du viol ?

Point de remise en cause du sexisme ordinaire, de la dépendance matérielle des femmes à leur conjoint. Point de questionnement autour du modèle de la cellule familiale, dans laquelle le père fait sa loi.

Certes, le nombre, mais aussi les profils des accusés qui défilent à la barre du tribunal d’Avignon pour le procès Mazan, terriblement banals, imposent de regarder le viol comme ce qu’il a toujours été : un fait social, quotidien, qui a généralement lieu en famille, dans un couple ou un groupe d’ami·es. Un crime normalisé, encouragé et protégé par une idéologie solide dont nous sommes toutes et tous profondément imprégné·es. Pourtant, le sordide de l’affaire appelle peu de débats de fond. L’opinion condamne, sur les plateaux télé comme dans la rue, mais on nous raconte surtout l’histoire de Mazan et ses 49 violeurs comme celle de l’ogre Depardieu : avec frissons et effroi. Et ces contes n’ont qu’une seule vocation : nous faire croire aux monstres.

Point de remise en cause du sexisme ordinaire, de la dépendance matérielle des femmes à leur conjoint qui les contraignent à subir des plus petites violences quotidiennes aux viols conjugaux. Point non plus de questionnement autour du modèle de la cellule familiale, dans laquelle le père fait sa loi. Non, la médiatisation de ces affaires ne s’attaque pas réellement à la culture du viol, que l’essayiste féministe Valérie Rey-Robert décrit comme un ensemble de stéréotypes que nous véhiculons toutes et tous, et qui permet aux hommes d’exercer un pouvoir sur les corps, en toute impunité.

Les médias ne s’en prennent pas non plus aux productions culturelles, dont ils font bien sûr partie, qui diffusent et transmettent de génération en génération ses clichés sexistes mortifères. Geneviève Sellier décortique plus loin les rouages de l’industrie capitaliste du cinéma, une machine bien huilée aux mains d’hommes à l’ego délirant.

We are coming ! clamait récemment un documentaire épatant de la camarade Nina Faure. Mais ne pas se leurrer : ça va prendre du temps.

La rédaction de CQFD

À lire dans ce dossier

 Affaire de Mazan : les médias à la ramasse – Dans son ouvrage Une culture du viol à la française, Valérie Rey-Robert, essayiste et féministe, définissait en 2021 ce qu’est la culture du viol. Selon elle, le traitement médiatique du procès de Mazan encourage surtout des stéréotypes qui en font partie et qu’il nous faut combattre. Entretien.

 Objets de leurs violences : deux récits – Les violences se pensent mais d’abord elles se vivent. Avec les agressions physiques, c’est aussi toute une vision du monde qui flanche. Témoignages de ce vertige.

 Au nom du père – Dans son ouvrage En bons pères de famille, la militante et féministe Rose Lamy dissèque le mythe du patriarche, figure bien moins innocente qu’elle n’y paraît. Décortiquant les discours qui entretiennent sa bienveillance, elle expose les mécanismes par lesquels ses violences sont rendues invisibles, voire « normales ».

 Abus sexistes dans le cinéma : « Les forteresses sont bien gardées » – Geneviève Sellier, autrice du livre Le Culte de l’auteur – Les dérives du cinéma français, nous aide à comprendre le système qui fait du 7e art un lieu privilégié d’emprise sur les femmes. Entretien.


1 Daisy Coleman (14 ans) et Paige Parkhurst (13 ans) par des lycéens à Maryville (Missouri, États-Unis), une lycéenne par des étudiants à Steubenville (Ohio, États-Unis) et Jyoti Singh, étudiante, par des hommes à New Delhi (Inde), entraînant sa mort.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°234 (octobre 2024)

Dans ce n°234 d’octobre 2024, on revient avec Valérie Rey-Robert sur ce qu’est la culture du viol dans un dossier de quatre pages, avec en toile de fond l’affaire des viols de Mazan. On aborde aussi le culte du patriarche et les violences sexistes dans le cinéma d’auteur. Hors-dossier, Vincent Tiberj déconstruit le mythe de la droitisation de la France. On se penche sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, avant de revenir sur la grève victorieuse des femmes de chambres d’un hôtel de luxe à Marseille. Enfin, on sollicite votre soutien pour sortir CQFD de la dèche !

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Paru dans CQFD n°234 (octobre 2024)
Dans la rubrique Le dossier

Par L’équipe de CQFD
Illustré par Manon Raupp

Mis en ligne le 13.10.2024