Cap sur l’utopie
Nous ne nous habituerons pas à mourir
Palmiro, la turbulente autobiographie picaresque de l’écrivain rebelle italo-norvégien Luigi Di Ruscio (Anacharsis) est ce qu’on appelle un « Bildungsroman », c’est-à-dire un classique du roman de formation. De formation, en l’occurrence, à la vie de fouteur de merde anarcho-communiste. À l’école, ce fut un insoumis railleur. Au PC de Togliatti, un dévoyé anti-stalinien. Dans la vie culturelle mainstream, un aède desperado aux textes typhons (« Non possiamo abituarci a morire », c’est-à-dire « Nous ne nous habituerons pas à mourir. ») On peut presque tenir le débraillé Di Ruscio pour une utopie en actes à lui tout seul : il était sans famille (c’est le fils de personne) et sans vraie tutelle idéologique. Et, de la plus « inéduquée » manière, il a créé son propre espace-temps poético-hédoniste où « on flotte dans les rues et on navigue dans l’air » sans manquer de gravir les « précipices aériens ». Autrement dit, s’écrie l’insurgé dans ses poèmes, ses romans, ses pamphlets, jetons nos héritages aux orties, émancipons-nous du « Dieu clérical » qui a colonisé notre enfance, franchissons nos zones d’ombres, passons coûte que coûte du « monde de la dure nécessité (faim, guerre, solitude) à celui de la liberté absolue », déprogrammons-nous, vagabondons, dévalisons les galetteux, tentons la vie nomade. C’est ça le communisme, précise Luigi Di Ruscio avec son sourire sarcastique : d’abord, on partage tout. Il faut que les demoiselles de vin qu’on achète soient aussitôt collectivisées, que chacun y boive quand il le veut et ne paie sa quote-part que quand il le peut. Et puis, on se libère l’un l’autre. « Nous mènerons une guérilla perpétuelle. Chaque homme libéré en libérera d’autres jusqu’à ce que tout le monde soit libéré. »

L’étude collective (Bé)vues du futur (Septentrion) orchestrée par le chercheur Clément Dessy et par l’experte en « poétique du roman d’anticipation » Valérie Stiénon s’attache avant tout à la représentation dystopique, à savoir l’anti-utopie, entendue au sens de « rendre présent à la vue » un reflet imaginaire catastrophe du futur. Mais l’utopie même avec ses cités du bonheur libertaires est de temps en temps de la partie dans cet ensemble savant à l’iconographie excitante. On plonge dedans avec les créatures hybrides fascinantes de L’Autre Monde de Grandville et ses poissons d’avril narquois hors mesures. Avec le fameux téléphonoscope de Robida, le Zig et Puce en l’an 2000 de Saint-Ogan ou quelques fantaisies rétrofuturistes. Avec les « folies socialistes » de Cabet, Proudhon, Fourier ou Blanqui mises au pilori bouffonnement par les Donald Trump de l’époque : Français, étouffons dans l’œuf le communisme qui favorisera la paresse et instaurera le règne de l’amour libre et la dissolution de la famille. Ou avec l’euphorisant Paris en l’an 3000, fricassé avec une belle truculence en 1912 par le dessinateur satirique toulousain Henriot dans le nouveau Paris duquel il n’est plus question de « guerres, ni d’impôts, ni de grèves de chemin de fer ».
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Cet article a été publié dans
CQFD n°139 (janvier 2016)
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Paru dans CQFD n°139 (janvier 2016)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 09.03.2018
Dans CQFD n°139 (janvier 2016)
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