Guns, god, Trump

Moumoute show

Albuquerque, Nouveau-Mexique, jeudi 31 octobre. Venu faire campagne sur des terres démocrates à quelques jours des présidentielles, un certain Donald Trump fait son show. CQFD y était, à quelques mètres de l’animal. Récit sauce yankee.

Le soleil n’est pas encore levé, mais la file d’attente pour s’approcher du Graal réactionnaire s’étire déjà sur des centaines de mètres. À quelques jours des élections, il faut être motivé pour voir Donald Jr, en vrai. On est en banlieue d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique, sur une petite base aérienne réquisitionnée pour l’événement. Et l’aspect ultra-matinal du rendez-vous n’a pas découragé les ardeurs, ce que souligne avec joie un vendeur de casquettes MAGA (« Make America great again », l’hymne de leur campagne) : les premiers venus étaient là dès trois heures et sa marchandise se vend comme des petits pains, alléluia.

« S’il perd, c’est que les élections auront été truquées. En Californie ils font venir des migrants du Mexique pour bourrer les urnes »

Ne pas s’y tromper, ce mouvement de foule aux aurores n’a rien de spontané : les organisateurs ont fait monter la sauce à coups de mails répétés, avec un rendez-vous « conseillé » fixé à cinq heures sur les parkings. Résultat ? Il est six heures du mat’, on se caille, et on patiente à la queue leu leu comme des pingouins frigorifiés. Pour se réchauffer, certains discutent à bâtons rompus. Derrière nous, une femme raconte que si en 2016 elle n’avait pas glissé un bulletin pour Moumoute, cette fois-ci, sa religion est faite : « C’est le seul à me rassurer concernant l’invasion des immigrés. » Sur la tête de son compagnon, une casquette « Guns-God-Trump ». Le ton est donné.

Tristes délires

À cinq jours du scrutin présidentiel, les sondages donnent les deux candidats plus ou moins à égalité. Mais dans la queue la confiance règne : le magnat de l’immobilier va l’emporter. Seule ombre au tableau, esquissée par un fanatique à qui on ne la fait pas : « S’il perd, c’est que les élections auront été truquées. En Californie ils font venir des migrants du Mexique pour bourrer les urnes  », souffle-t-il à voix basse, comme un secret. Un complotisme diffus qui s’invite dans plusieurs échanges. Une quadra collante et passionnée d’histoire assure que sa ville natale, Santa Fe, est la plus vieille du monde. Un autre fondu du ciboulot énumère en désordre les différentes théories du complot auxquelles il adhère, citant les « enfants taupes » élevés par les élites démocrates pour leurs glandes «  adrénochrones  » censées assurer l’immortalité, et affirme que les téléphones portables cesseront de fonctionner le soir des élections. Celui qui avoue « cauchemarder » toutes les nuits à propos de Kamala Harris et dégaine avec fierté un badge Qanon1 nous tend également sa carte de visite. Bon prince, il suggère de l’appeler le soir du 5 novembre sur son téléphone cellulaire quand Donald Trump aura révélé la vérité au monde – « L’heure des comptes sera sanglante », prévient-il.

On vient là en famille ou avec des amis pour dire que l’heure du changement est venue, que trop c’est trop

Derrière les délires, pointe une forme de ressentiment partagé. On vient là en famille ou avec des amis pour dire que l’heure du changement est venue, que trop c’est trop. À l’image de Randal, type à l’air paumé mais gentil, arborant un grand chapeau de cow-boy. Il bosse dans un ranch et, après de lourds pépins de santé, la faillite du commerce de son père et la transformation des villes, si dangereuses à ses yeux, il a décidé de passer le cap électoral. Il se rendra aux urnes pour faire élire celui qui remettra de l’ordre dans un pays en miettes : «  Tout a foutu le camp, il est temps qu’il revienne !  »

La bête entre dans l’arène

Après trois heures, un peu réchauffés par un soleil tardif, on finit par passer les contrôles de sécurité draconiens. Commence alors une nouvelle phase d’attente, cette fois-ci postés devant une estrade vide. Derrière, deux tribunes remplies des plus motivés, munis de pancartes « Trump/Vance », permettront aux journalistes télé de composer des images donnant l’impression d’un plébiscite populaire. Sur les côtés, des écrans géants affichent des messages galvanisés : « Trump will fix it  » (Trump va réparer tout ça). En fond sonore, rapidement horripilante, une boucle de cinq tubes vieillots répétés jusqu’à la nausée auditive, parmi lesquels « Macho Man » des Villages People et « Eye of the Tiger » de Survivor. Mascu for ever.

« Tout a foutu le camp, il est temps qu’il revienne ! »

Quand le moment fatidique approche, la foule vibre sur « It’s a Man’s Man’s Man’s World » de James Brown (décidément). Sur le tarmac, derrière la scène, atterrit un avion dont le flanc est orné d’un grand « TRUMP » écrit en lettres capitales dorées. Les écrans géants retranscrivent son avancée et des centaines de téléphones portables s’élèvent afin d’immortaliser le moment. Après tant d’attente, la tension monte. Encore quelques minutes et il fait son apparition : grand manteau noir, face en plastique où s’affiche à intervalles réguliers un sourire de saurien, il monte sur scène, esquisse trois pas de danse, et se lance, éructant comme il se doit.

Pauvre discours

Il faut entendre un discours de Trump en entier pour comprendre à quel point sa rhétorique est pauvre et répétitive. Les réseaux sociaux et les médias n’en garderont que les points saillants qui, le temps d’un meeting, sont martelés jusqu’à l’absurde, sans que jamais les sujets ne soient un chouïa creusés. Pas de surprise : dès les premières secondes, il s’attaque aux migrants – « gang members », « criminals », « drugs addicts » – et à l’incurie des démocrates qui pratiqueraient une politique d’« open borders  » (frontières ouvertes), laissant entrer les pires délinquants que des pays comme le Venezuela ou le Congo déverseraient à dessein, ces scélérats.

Cette obsession frontalière fait partie des quelques thèmes qui reviennent en boucle. Autre moteur à envolées, sa rivale Kamala, « encore plus malhonnête que l’était Hillary », au « QI tout petit », « stupide comme une pierre  ». Quant aux journalistes filmant sa prestation depuis une tribune faisant face à la scène, ils sont régulièrement admonestés pour leur malhonnêteté et hués par la foule. Se glissent aussi quelques considérations sur le prix de l’essence qu’il fera baisser, sur un pays cassé qu’il va « réparer », et la machine repart à zéro : rebelote, revoilà les frontières passoires des démocrates, sa promesse de « la plus grande politique d’expulsion de l’histoire des États-Unis », sa détermination à appliquer la peine de mort à tous les migrants ayant tué un Américain, puis Kamala tellement nulle et haïssant ses compatriotes, puis…

Il faut entendre un discours de Trump en entier pour comprendre à quel point sa rhétorique est pauvre et répétitive

Cette rengaine infinie finit même par fatiguer certains de ses supporters. Bien sûr, des « USA USA USA ! » et « Trump Trump Trump ! » ponctuent les saillies du candidat, tandis que l’écoute collective de « God Bless America » semble susciter une émotion viscérale et sincère dans les rangées. Mais on note également des personnes endormies sur leurs chaises et d’autres pliant bagage avant la fin pour éviter les embouteillages. Une fois ses quelques lubies éructées, faute de fond, voire de talent à tenir la foule sur la longueur, le vrai Trump semble perdre de son magnétisme. Sa spécialité, les petites pastilles haineuses, agrafées les unes aux autres à la va comme je te pousse, tombent finalement un peu à plat, quand les flottements de son discours ne s’attardent pas mollement dans l’air comme des papillons ivres.

« Vous allez vivre l’histoire », s’enthousiasmait la dame de Santa Fe qui nous collait dans la file d’attente. En un sens, ce n’est pas faux, car les refrains endurés ont finalement porté de nouveau au pouvoir le clown qui rêvait d’être dictateur. Que le spectacle soit mauvais comme un match de catch aux ficelles trop voyantes n’y change finalement pas grand-chose, tant les ressorts de sa propagande mensongère finissent par s’incruster dans la psyché générale. Et ces lumières trop crues, presque obscènes, annoncent une nuit noire prolongée. On songe alors à un tribun d’autrefois, pas mauvais celui-là, un certain Victor Hugo, qui dans La légende des siècles (1877) écrivait : « C’est un funeste siècle et c’est un dur pays. »

Par Émilien Bernard et Pauline Laplace

1 Qanon est un mouvement complotiste qui a essaimé dans les égouts numériques de la première présidence Trump et dénonce notamment le sort d’enfants vampirisés par les élites – lire notamment « Le complotisme est toujours la traduction d’un malaise réel », entretien avec Wu Ming 1, CQFD n° 202 (octobre 2021).

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Cet article a été publié dans

CQFD n°236 (décembre 2024)

Dans ce numéro, vous trouverez un dossier spécial États-Unis, faits de reportages à la frontière mexicaine sur fond d’éléction de Trump : « Droit dans le mur ». Mais aussi : un suivi du procès de l’affaire des effondrements de la rue d’Aubagne, un reportage sur la grève des ouvriers d’une entreprise de logistique, une enquête sur le monde trouble de la pêche au thon.

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