Église occupée
Mineurs isolés, mais soudés
Ils se connaissaient pour avoir grelotté ensemble des nuits durant autour de la gare Saint-Charles. Certains chanceux avaient croisé des hébergeurs solidaires, mais la plupart étaient à la rue, à la dure. Le mardi 21 novembre, alors que le mistral fait chuter les températures de plusieurs degrés, une soixantaine de mineurs isolés étrangers (MIE, dans le jargon administratif) investissent l’église Saint-Ferréol, sur le quai de la Fraternité du Vieux-Port. Ils sont accompagnés par un fort contingent de militants du Collectif de soutien Migrants 13, Emmaüs, Médecins du monde, RESF… Le prêtre, d’abord désarçonné, finit par offrir le gîte après la messe de 18 h.
Le lendemain à l’aube, l’évêque de Marseille vient promettre que l’asile sera accordé jusqu’au samedi, en attendant que le conseil départemental assume ses responsabilités. Mais celui-ci, pressé de questions par la presse et les associations, botte en touche : c’est à l’État de trouver des solutions. De son côté, l’Addap13, structure chargée de l’accompagnement des mineurs isolés, propose des nuits d’hôtel et invite les mineurs à sortir un par un de l’église pour se mettre en contact avec des éducateurs les attendant sur le parvis. Ce à quoi les mineurs rétorquent par un communiqué : « Nous avons décidé de ne pas partir dans un lieu, dans une maison, dans un hôtel juste pour un temps. Nous décidons : quand il s’agira d’un foyer où on sera suivis de près, scolarisés, traités, et même contrôlés par des éducateurs, alors se sera bien. Et ce n’est pas le cas dans votre proposition. »
Jeudi, mis sous pression par la visite hostile d’une commissaire de police et d’un huissier, l’évêché, revenant sur sa promesse, propose aux mineurs de se diriger vers une autre église, plus éloignée du centre. Nouveau refus des intéressés. À 18 h, un représentant du conseil départemental annonce dans la nef qu’un bâtiment municipal est mis à disposition pour recevoir les 66 mineurs. Il refuse toutefois de répondre aux questions et demande aux jeunes de solliciter l’hébergement individuellement. L’un d’eux s’empare alors du micro et déclare que leur décision sera collective. Des tractations s’engagent entre les associations et le fonctionnaire pour que cet hébergement de nuit dans un édifice non habilité soit couplé avec un accueil de jour à caractère éducatif. Et surtout pour que l’accueil ne soit pas conditionné à l’octroi ou non d’une ordonnance de protection délivrée par le juge des mineurs. Les détails techniques sont précisés. Les Restos du cœur devraient livrer des repas. Un camion pourvu de douches stationnera devant le bâtiment, pendant que des ouvriers plombiers installeront des salles de bain.
Une fois les conditions d’hébergement négociées, les mineurs disent poliment au revoir au fonctionnaire : « Maintenant, Monsieur, nous vous prions de nous laisser entre nous. » Ils vont passer une dernière nuit dans l’église et fêter cette victoire avec leurs amis. Tina, soutien de la première heure, parle d’une expérience intense : « Ces trois jours, c’est comme si un mois s’était écoulé. J’admire la lucidité et l’unité de ces jeunes. » Vendredi 24, les mineurs et leurs soutiens quittent l’église en cortège jusqu’à la rue de Pressensé, quartier Belsunce, où se trouve l’auberge improvisée. Ils s’y installent, se penchent aux fenêtres pour saluer les gens restés dehors. Pour Christian, syndicaliste retraité, « c’est une victoire, puisque les gamins ne dorment plus dehors. Et surtout parce qu’ils ont fait preuve d’une surprenante maturité, évitant l’isolement vers lequel voulait les pousser l’administration. C’est certainement le fruit de tout ce qu’ils ont vécu sur la route. Il faudra par contre rester vigilant pour qu’on ne les renvoie pas dans la rue après quelques semaines ». Et Tina de conclure : « En tout cas, ils nous ont donné une belle leçon de ténacité. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°160 (décembre 2017)
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Paru dans CQFD n°160 (décembre 2017)
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Mis en ligne le 27.01.2018
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