Dossier « Le travail mort vivant »

Michel, trimardeur d’infortune : « J’ai tout fait, tout connu »

Jésus a multiplié les pains, Michel des petits boulots de survie. Du Beaujolais au nucléaire en passant par le montage de store, ce n’est plus un CV mais la condition du prolo moderne résumé dans ces lignes.
La Une du n°147 de CQFD, illustrée par L.L. de Mars

Michel a 50 balais aujourd’hui. Toute sa vie a été remplie par une suite de petits boulots. Souvent des boulots de merde, rarement des emplois satisfaisants.

« J’ai commencé à 16 ans avec la castration des maïs. L’ambiance était bonne mais la paye maigre {{}} », me raconte-t-il au bar du Peuple où il commande son troisième demi. Il est 8h30 ce matin. « Comme tout le monde, j’ai fait les vendanges dans le Beaujolais. Dos cassé, vin à volonté.  » C’est le lot des chômeurs et des alcooliques que de s’engager dans des vendanges à la dure. « Des fois, les patrons sont pas vaches. Tu dors en dortoir. Y’a moyen de trouver une petite parfois. Cela dit, on était tellement crevé ou bourré...  »

Après, c’est l’intérim hivernal en ville. « À Lyon, je me suis inscrit dans ces boîtes qui fleurissaient à l’époque. Déménageur un jour, tu trimballais un piano sur quatre étages dans un couloir fait pour passer un harmonica.  » L’usine aussi, quand il flotte. « Un jour l’agence m’a envoyé dans une petite usine où je devais appuyer sur deux boutons en simultané toutes les secondes.  » Le contremaître passe le voir une fois, puis deux pour l’engueuler. Ça ne va pas assez vite. Michel se tire au bout d’une heure. Il n’a pas la carrière dans le sang. « J’ai aussi monté des échafaudages pour avions, des stands avec toute une bande de trimards, genre salon du cuir, ou de la bouffe chinoise, avec des moquettes rouges à bande. Je te dis : j’ai tout fait, tout connu.  » Il y aura pire plus tard. « Tout ça c’est de la gnognotte par rapport à ce que j’ai connu après. Quand la boîte m’a fait confiance, il m’ont envoyé sur des tafs plus sûrs : le nucléaire. Je suis descendu de Lyon pour Tricastin. Pas tricastel.  » Les primes et la paye sont bonnes, très bonnes, même. « Ça me paraissait louche mais quitte à crever, autant avoir des mains d’or. Ce fut là mon erreur. Le fric tu le perds après, à te faire soigner.  » Les maux de tête arrivent vite. En quelques années, Michel attrape tout ce qui passe comme maladie. Son terrain immunitaire dégringole sec. Il va connaître l’hôpital, comme client cette fois.

Deux ans plus tard, il en sort. Repart au taf vu qu’hériter dans sa famille, ça serait plutôt des emmerdes. Alors le voilà monteur de stores dans des hangars en Saône-et- Loire : « C’est un pote qui m’a traîné là-bas. Je me coinçais tout le temps les doigts dans ces saloperies. Parfois, je rêvais de faire des études comme des potes qui avaient compris qu’il fallait pondre des mémoires sur le cercle ou les pendentifs précolombiens pour se faire une place au soleil.  » Pour Michel, c’est un peu tard et il est grave malade. Au bar, la peau trouée par des marques disgracieuses, et un tremblement de la jambe gauche, Michel fait peine. Quand il sourit, c’est le trou noir. « Elles sont toutes tombées. Rapport à mon taf de nettoyeur à Tricastin. Si j’avais pas bu mes émoluments, j’aurais pu me faire remplacer mes ratiches.  »

Un jour, tout change et Michel trouve une place chez une comtesse comme jardinier. « C’était par pitié qu’elle m’avait embauché. Je devais couper quelques roses, arroser ici et là, passer le râteau.  » Tout se passe bien pendant quelques années, mais un jour la vieille dame calanche et son neveu reprend le petit château. « C’est devenu Bagdad et Guantanamo pour moi . Il me bombardait d’insultes et m’interdisait de sorties, il a arrêté de me payer, me demandait de bosser comme un nègre, je m’écrasais – et plus je m’écrasais, plus il cognait.  » un matin, c’est le drame. « Je lui envoie le râteau dans les dents comme à la télé dans Charlot. Il saigne du nez et il me renvoie enfin. Ça me redonne de l’élan pour me tirer parce que vois-tu, fils, j’étais plus capable de décoincer de cette planque.  »

Michel se retrouve en foyer pendant quatre ans. La descente aux enfers. Pas vraiment du boulot mais des chantiers d’assistés. « Je me retrouvais avec tous les damnés de la terre. Gratter des pierres, monter des murets, se rouler une tige, s’envoyer deux blagues et attendre le week-end.  » Michel aimerait bien faire un bore-out comme on diagnostique aujourd’hui dans les universités. Qu’importe, il a été veilleur de nuit dans un centre pour mineurs. « C’est cool, au début puis après tu te fais pote avec les gamins et puis ils te chouravent tout, te piquent tes clopes, foutent le bronx. À la fin, tu te fais virer parce que t’étais sympa.  » Michel a été démoli par son expérience chez les délinquants. « Je leur ressemblais, à ses mômes ; parents disparus quand j’étais moutard, première clope à douze ans, l’alcool qui te prend la tronche trop vite, les vols de caisse, puis les injections : je me suis même injecté du Ricard, des médocs à plus en finir pour avoir des sensations.  » Alors, quand on lui propose des essais thérapeutiques pour la tachycardie, il saute sur l’occasion de se refaire un peu. un week-end de cobaye, allongé avec une perfusion, peut être très bien payé. Et très coûteux pour la santé : « Ma santé était déjà flageolante. Ils n’auraient même pas dû me prendre.  »

Désormais, Michel est sous tutelle et touche une allocation adulte handicapé. Fini les petits boulots. Il vit à Roquevaire (Bouches-du- Rhône) et tire sa carcasse parfois dans Marseille. Là, il se traîne dans de longues errances, grattant une pièce ici ou là. Le travail mène à tout… mais surtout à rien.

Christophe Goby
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