Antiracisme au Brésil
Mettre fin à la domination silencieuse
« En deux mois, 137 jeunes hommes noirs sont morts aux mains de la police brésilienne, même avec un président de gauche ; les travailleuses les moins bien payées du pays sont des femmes noires ; pendant le Covid, les Noir·es des villes brésiliennes avaient 62 % de plus de chance d’en mourir », énumère Cida Bento devant une salle comble. Accompagnée de son éditrice et traductrice Paula Anacaona, l’écrivaine et activiste antiraciste est venue présenter à Marseille Le Pacte de la blanchité, publié en 2022 au Brésil et traduit chez Anacaona en octobre. Sorte de vulgarisation transversale de ses recherches en psychologie organisationnelle, l’ouvrage pointe le « mode opérationnel des discriminations » et de leur continuité dans le temps.
Face à son auditoire, Cida Bento déroule son analyse. D’après elle, il existe au Brésil « un pacte de complicité non-verbalisé entre personnes blanches qui vise à maintenir leurs privilèges ». Implicite, il est caractéristique « des dominations silencieuses » et s’accompagne d’une négation des discriminations raciales. « Évidemment, les personnes blanches ne font pas de réunions secrètes au milieu de la nuit pour déterminer comment exclure les personnes noires », ironise-t-elle.
Pour Cida Bento, l’origine de ce pacte narcissique est claire : l’histoire « colonialiste ». Et il se perpétue aujourd’hui à travers l’invisibilisation et le déni de l’existence « d’un héritage », pourvoyeur d’avantages symboliques et matériels pour les « descendant·es d’esclavagistes ». Accumulé de manière sanglante par le groupe blanc, cet héritage profite aux nouvelles générations, tenues de protéger « les intérêts de leur groupe racial » si elles veulent en bénéficier. « Ce pacte est une alliance qui expulse, réprime et cache ce qui est intolérable afin de le rendre supportable et remémoré collectivement », continue la docteure en psychologie. D’après elle, cela construit « un modèle d’exemption de la société blanche et, par conséquent, de culpabilisation de la population noire ».
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Héritière des efforts de théorisation de la blanchité, de Frantz Fanon à Robin DiAngelo, Cida Bento forge le concept de « pacte » à partir du terrain, en analysant les processus de recrutement des entreprises brésiliennes, privées comme publiques. Dans le monde du travail et dans l’ensemble de la société brésilienne, les inégalités ne sont généralement pas analysées à travers le prisme de la discrimination raciale. L’absence criante de personnel noir, aussi bien dans les ONG que dans les banques, est ainsi évacuée du débat par l’explication du « biais “rationnel” du mérite », comme s’il n’y avait pas un contexte de racisme institutionnel. Lorsque les discriminations sont évoquées, la mise au premier plan de la classe sociale fonctionne aussi comme une manière de « diluer » le débat sur la race.
« L’existence de discriminations est attestée par des données accablantes, répétitives et persistantes »
Si le discours de Cida Bento captive autant le public marseillais, c’est que son argumentation est chiffrée. « L’existence de discriminations est attestée par des données accablantes, répétitives et persistantes », écrit-elle. Obligatoires depuis 2001 au Brésil – contrairement à la France où elles sont interdites –, les statistiques ethniques sont une véritable conquête des luttes antiracistes et noires. Fervente défenseure des quotas, mais aussi du dialogue direct avec les entreprises et de l’action institutionnelle, Cida Bento présente des pistes d’affirmative action (ou discrimination positive) dans une perspective d’équité raciale, autre impossibilité française. « Comment avez-vous réussi à faire imposer l’action publique et institutionnelle contre les discriminations racistes ? » interroge une jeune femme. « Le changement vient nécessairement de la pression des mouvements sociaux et de l’opinion publique : notre force, au Brésil, c’est la convergence intersectionnelle du mouvement noir, du féminisme, des luttes LGBTQIA+, et de la jeunesse »1 lui répond l’autrice.
1 Lire à ce sujet : « La construction d’une pratique politique intersectionnelle dans les luttes des travailleuses domestiques au Brésil », Cahiers du genre n° 69, 2020.
Cet article a été publié dans
CQFD n°224 (novembre 2023)
Sidérés. Par les milliers de morts, les bombardements, l’ouragan de haine, de désinformation et d’indignation sélective qui ont accompagné la guerre au Proche-Orient et la guerre entre Israël et les factions palestiniennes. Voilà ou nous en étions, en essayant de concocter ce numéro 224 de CQFD. Alors, comme début d’une réflexion, on a donné la parole au collectif juif décolonial Tsedek ! et on est allés faire un tour dans les manifs pour la Palestine. Dans nos pages, aussi des nouvelles de Marseille, toujours autant vampirisée par la plateforme AirBnb, mais qui s’organise pour lutter contre. On y propose aussi un suivi du procès des « inculpés du 8 décembre » et ses dérives, on y dézingue les « ingénieurs déserteur ». Côté chroniques, #Meshérostoxiques interroge l’idole de jeunesse Sid Vicious, #Dans mon Salon fait un tour au Salon des Véhicules de Loisirs et #Lu Dans nous donne à lire les anarcho-communistes allemands.
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Paru dans CQFD n°224 (novembre 2023)
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Mis en ligne le 24.11.2023
Dans CQFD n°224 (novembre 2023)
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