Meuleuses et pioches sous le bras pour certains, hélicoptères de la police comme horizon pour tous
Résumons. Samedi, grosse manif déter, malgré son interdiction par la préfecture, séparée en trois cortèges pour déjouer la présence policière – 1 700 condés tout de même. Nommée « 1,2,3 bassines », l’opération réussit et un des cortèges pénètre sur le chantier, absurdement surprotégé par les forces de l’ordre puisqu’il ne s’agissait alors que d’un énorme trou dans la terre (sur une surface équivalente à 22 terrains de foot). Dimanche, une joyeuse troupe désarme un des bras de la « pieuvre », petit nom donné à l’ensemble des canalisations servant à alimenter en eau la bassine. Meuleuses et pioches sous le bras pour certains, hélicoptères de la police comme horizon pour tous. Entre les deux : concerts, tables rondes et reconnaissance des espèces animales du coin comme l’outarde canepetière, oiseau devenu égérie du mouvement.
Léna Lazare est membre du collectif Les Soulèvements de la Terre qui a porté, aux côtés de Bassines non merci, le week-end et quelques-unes des précédentes actions dans le Marais poitevin. De ces journées, elle retient la convergence avec les luttes paysannes, la complémentarité des tactiques (la stratégie offensive et la farandole main dans la main face aux pandores) ainsi que la stratégie du « désarmement », autre mot pour désigner des actions de sabotage. « Il y a des armes en face et nous, on fait juste en sorte qu’elles arrêtent de détruire le vivant. Ça nous place sur la défensive et pas sur l’offensive, j’ai l’impression que c’est vraiment ça la situation actuelle. »
[|« Une solidarité à toute épreuve »|]
En face, justement. Que s’est-il passé depuis la fin du mois d’octobre ? Couverture médiatique, certes, mais aussi déferlement autoritaire du côté de l’État. Soixante personnes ont été blessées et cinq personnes arrêtées pendant la manifestation. Ces dernières passeront devant le juge à la fin du mois de novembre [1]. Sans compter d’autres procès en janvier pour des manifestations antérieures et la multiplication des auditions libres pour les membres des collectifs organisateurs, placés sous surveillance étroite. Julien Le Guet analyse : « On voit bien que l’État adopte une stratégie à la Gilet jaune : criminaliser la participation à de simples manifestations, interpeller et multiplier les amendes. Mais ça n’aura pas d’effet parce qu’on va faire preuve d’une solidarité à toute épreuve. » Même son de cloche pour Léna Lazare qui souligne l’afflux de dons quotidiens, un soutien qui permet notamment de financer les frais de justice.
« On a un gouvernement prêt à faire un nouveau Sivens »
Avec sa sortie bien préparée sur les « écoterroristes », Darmanin fait du Darmanin, mais les conséquences loin de la scène médiatique peuvent être redoutables. Mi-novembre, un membre actif de Bassines non merci s’est fait tabassé chez lui par deux individus non identifiés. « Écolo de merde, il est beau l’antibassine », lui ont balancé ses agresseurs quand celui-ci gisait au sol. Ses jours ne sont pas en danger, mais l’ambiance est lourde. Julien Le Guet dénonce par ailleurs le niveau d’armement des forces de l’ordre. « On a un gouvernement prêt à faire un nouveau Sivens [2] ».
Côté législatif, dix jours seulement après le week-end de mobilisation, le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, a fait passer une circulaire, révélée par Mediapart, appelant à « une réponse pénale systématique et rapide » contre « les infractions commises dans le cadre de contestations de projets d’aménagement du territoire. » Tout l’arsenal est déballé : allongement de la liste des infractions concernées (rébellion, participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou dégradations…), ajout de peines complémentaires à requérir (interdiction de paraître ou de participer aux manifestations, avec inscription au fichier des personnes recherchées notamment) et une forte incitation à poursuivre via des « enquêtes approfondies » les auteurs qui n’auraient pas été arrêtés sur-le-champ. En utilisant notamment la fameuse mise en examen pour « association de malfaiteurs en vue de commettre des violences aggravées ou des dégradations », déjà employée à Bure [3].
[|Assumer le conflit|]
Les chantiers, eux, ont continué au pas de course. À Sainte-Soline, après quelques jours d’arrêt, les engins sont revenus, toujours sous haute surveillance policière. Une semaine plus tard, un protocole de 30 nouvelles mégabassines était signé dans la Vienne (seize sont prévues dans les Deux-Sèvres). Malgré ces mauvaises nouvelles, Léna Lazare retient d’abord un changement de stratégie côté gouvernement : « On est passé d’un niveau de décrédibilisation assez basique, sur le mode “vous dites n’importe quoi, on récupère juste de l’eau de pluie”, à des arguments de plus en plus fins, prétendant que c’est nécessaire même pour les petits agriculteurs. Ils se rendent compte que les gens ont conscience des enjeux et qu’on ne peut juste plus leur mentir comme ça. »
Fin octobre, une coalition de plus de 150 collectifs, associations et partis appelaient déjà à manifester. Depuis, aucun ne s’est désolidarisé et tous ont assumé la diversité des stratégies – celles du sabotage et d’une conflictualité directe compris. « Plein d’organisations traditionnelles ont avancé là-dessus », souligne Léna Lazare. Les prochaines dates de mobilisation donnent le ton. Fin novembre, puis les 5 et 6 janvier pour des « rassemblements festifs anti-répression » en marge des procès. Le 15 décembre devant l’agence de l’eau à Orléans pour contrer la finalisation de l’accord sur les 30 bassines de la Vienne. Et le 25 mars pour une grande manif nationale. « On va se donner l’ambition d’être plusieurs dizaines de milliers de personnes », annonce Julien Le Guet avant de préciser : « Ces dates, c’est un peu l’office du tourisme militant, ce sont les dates publiques et officielles. Ensuite, il y a tout ce qui va se passer dans les cinq mois qui viennent sur d’autres champs d’action. On va continuer à être déroutants, surprenants ! » Chic.
[/Margaux Wartelle/]