Risques sismiques et industrie nucléaire

Marcoule, Fukushima-sur-Rhône ?

Industriels et responsables politiques nationaux comme locaux sont unanimes : Fukushima est une affaire intérieure strictement japonaise. Pourtant, la vallée rhodanienne, qui abrite de très nombreux centres nucléaires, est exposée à un aléa sismique loin d’être négligeable. Mais tout ce beau monde de nous rassurer aussitôt : l’intensité de nos tremblements de terre aura le bon goût de rester modérée, et les plans destinés à protéger la population sont aussi imparables que ceux du général Gamelin face aux panzers d’Adolf en 1940. CQFD a enfilé son tablier de plomb pour recenser les informations disponibles sur le sujet, et le résultat est aussi rassurant qu’une fuite radioactive au Pays du Soleil Levant…
par LL de Mars

Marcoule, au cœur du Gard rhodanien, son ex-centrale Phénix, son site d’entretien et de réarmement des ogives nucléaires, son usine de fabrication du combustible Mox, ses stocks et son laboratoire de recherche sur les déchets radioactifs, ses réacteurs Célestin qui servent à fabriquer le tritium destiné aux bombes nucléaires, sa future centrale au sodium Astrid qui devrait être lancée en 2012… Pas de problèmes ! L’industrialisation de l’agriculture mêlée aux appâts de la modernité ayant vidé les campagnes de ses agriculteurs, le nucléaire a fourni travail et revenus à bon nombre d’entre eux. Les villages environnants sont abonnés aux catalogues de mobiliers urbains et rivalisent de trottoirs, réverbères torsadés et bacs à fleurs bétonnés – ou l’inverse – financés par les bienfaits fiscaux du nucléaire. Du travail pour cinq mille salariés, des gymnases, des piscines olympiques, des clubs de jeunes-vieux-boules-photos-etc. des partenariats avec les municipalités, des animations, des résidences pour les ingénieurs, des crédits faciles, des sociétés d’intérim fournissant une armée de travailleurs-Kleenex aux boîtes de sous-traitance, un syndicat coopératif et défenseur de l’indépendance énergétique de la France – on se lève, s’il vous plaît –, des camps de vacances, des visites pour les écoles du coin… Bref, un véritable Eldorado pour Areva et ses complices. Ici, rien à craindre des quelques réfractaires qui se risqueraient un peu, juste un peu, à manifester des réserves face à l’atome. De toute façon, la loi du 13 juin 2006 « relative à la transparence et à la sécurité nucléaire » n’a-t-elle pas donné un fondement législatif à la Commission locale d’information (CLI) dont la mission est de « garantir le droit du public à une information fiable et accessible en matière de sécurité nucléaire » ? Composées de conseillers généraux, régionaux, de parlementaires du département, de représentants d’ONG de protection de l’environnement, d’acteurs économiques, de médecins et de syndicalistes représentatifs, ces commissions siègent au moins deux fois par an et sont financées à l’instar des associations… par des subventions de l’État et des collectivités territoriales. Et afin de parfaire la plus totale objectivité de l’affaire, c’est le président du conseil général qui en nomme les membres. Dans le Gard, la CLI se réunit jusqu’à six fois par an sous l’autorité du très subversif et socialiste Damien Alary. Ce dernier invite régulièrement les patrons de Marcoule à quelques pots où ils peuvent à loisir conjuguer leurs très intègres et indolores litanies sur le fait que « le risque zéro, ça n’existe pas, ha, ha ! » De toute façon, qu’y aurait-il à craindre puisque aucun réacteur ne fonctionne à Marcoule, et que « le site n’est dédié qu’au traitement des déchets et à la recherche », informations que récitent à l’envi presses, acteurs sociaux et politiques du quartier.

par LL de Mars

Mais dans les profondeurs, pas celles de leurs consciences, mais plus simplement de la terre, un autre débat s’agite. Dans un rapport publié en septembre 2001, l’École et Observatoire des sciences de la terre de Strasbourg explique : « […] La vallée rhodanienne est une zone de rift1 datant de vingt-cinq millions d’années, et donc à l’origine d’une ligne sismique allant du Tricastin jusqu’à Cavaillon et Nîmes. La région de Montélimar a connu plusieurs séismes qui ont atteint l’intensité VIII [l’équivalent de 6 sur l’échelle de Richter] (1772-1773, 1873 et 1901). » Tandis que, en 2008, la Direction régionale de l’environnement insiste : « En 2005, une cartographie nationale […] fait ressortir en Languedoc-Roussillon deux secteurs où l’aléa sismique est particulièrement présent avec des degrés allant de modéré à moyen. Il s’agit du sud-ouest de la région (Pyrénées-Orientales et sud de l’Aude) ainsi que son extrémité est (Gard rhodanien). »

Modéré ou moyen ? En clair et en tentant de décrypter ces expressions scientifiques hors normes, on arrive jusqu’à 7 sur l’échelle de Richter2. Nous voilà donc presque rassurés… ou franchement inquiets. Le 17 juillet 2007, c’est justement un séisme de niveau 6,8 qui secouait méchamment la centrale nucléaire de Kashiwazaki Kariwa – la plus importante du Japon avec ses sept réacteurs de 8,2 gigawatts. Des fûts de déchets radioactifs s’étaient ouverts et un incendie s’était déclaré… Le problème avait été jugé suffisamment grave pour que le gouvernement décide de fermer le site dans l’attente d’une sécurisation des installations. Dans cette lointaine contrée, où les normes antisismiques font l’admiration de tous, où la population est louée pour sa promptitude à se ruer sous les tables, les enseignements tirés de 2007 auront fait leurs preuves quatre ans plus tard à Fukushima compte non tenu des effets induits par un séisme. On ne peut pas penser à tout ! « Rien à voir avec ce qui peut se passer ici », affirment en chœur les nucléocrates, tout en pointant du doigt les anti-nucléaires qu’ils accusent de vouloir bassement profiter de la catastrophe japonaise pour faire gober leurs idéologies rétrogrades. Un séisme dans le Gard rhodanien n’est-il pas purement hypothétique ? La preuve ne réside-t-elle pas dans le fait qu’il n’y en a pas eu depuis la construction du site de Marcoule ? Et quand bien même, le laboratoire d’étude de mécanique sismique du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ne disposerait-il pas de la plus grande table vibrante d’Europe, mesurant six mètres sur six et pouvant éprouver la résistance aux chocs d’une modélisation de cent tonnes – taille néanmoins dérisoire en regard du dispositif japonais d’une taille de vingt mètres sur quinze et supportant une charge de 1 200 tonnes ? De toute façon, répètent-ils, Marcoule n’est qu’un « site dédié au traitement des déchets et à la recherche. » C’est là donc, qu’à titre expérimental, sont stockées d’importantes quantités de déchets radioactifs afin de trouver un moyen pour les traiter. Deux réacteurs Célestin continuent,

par LL de Mars

aujourd’hui, à produire pour la Défense nationale du tritium dont la durée de vie de plus de douze ans nécessite son remplacement régulier dans les armes de destruction massive stockées sur place. C’est là aussi que sont fabriquées et entreposées les cent quarante tonnes de Mox, fleuron de l’industrie française, vendu dans le monde entier et utilisé depuis peu dans la centrale de Fukushima avant que celle-ci ne rencontre quelques défaillances. Ce combustible nucléaire est composé de 7 % de plutonium et de 93 % d’uranium, et son activité radioactive est cinq à sept fois plus importante que celle des éléments initiaux3.

« Rien à craindre » ; « Tout va bien » ; « On renforce la sécurité » ; « Un séisme comparable à celui du Japon est impossible ici », fredonnent les nucléocrates qui voient dans la catastrophe japonaise l’occasion de développer une savante surenchère dans le « renforcement de la sûreté, et la généralisation des contrôles » et, aussi, une opportunité pour vanter les mérites du réacteur EPR « absolument sûr  »4. De toute façon, à Marcoule et dans la région, tout est prêt en cas de problème majeur. Quantité de rustines officielles sont disponibles pour réparer, intervenir, soigner, minimiser, mentir dans un déploiement quasi militaire de postes opérationnels de commandement, avec médecins, pompiers, soldatesques, et journalistes embedded. Concrètement, pour les habitants lambda des vingt-quatre communes comprises dans un rayon de dix kilomètres, le Plan particulier d’intervention rassemble des consignes extrêmement pointues : en cas d’alerte, ne pas envoyer ses enfants à l’école, se mettre à l’abri dans un bâtiment clos, s’il en reste encore debout, calfeutrer les ouvertures et écouter la radio. En quelques heures, la zone est verrouillée par les forces de police et le trafic routier détourné. Des mesures de radioactivité sont réalisées par les pompiers et les cellules mobiles d’intervention radiologiques des départements voisins. Dans le cas où l’évacuation s’imposerait, ne pas oublier de prendre, surtout, ses papiers d’identité, quelques affaires et, toujours, écouter la radio après avoir coupé l’eau, l’électricité et le gaz. Puis prendre des pastilles d’iode stable… C’est ce qu’on appelle des mesures sérieuses, quoique un peu dérisoires comparé aux hautes technologies rassemblées sur le site de Marcoule. Sous le coup d’un séisme pressenti mais non défini, quelques dégâts « imprévus » – comme cela s’est dit dans toutes les langues après Fukushima – feraient de la région un désert pour quelques milliers d’années. Reste à savoir quels végétaux résisteront, quels types d’animaux s’y développeront, et comment. Avec leurs très scientifiques capacités d’anticipation, on peut être sûr que des laboratoires y travaillent déjà.


1 Un rift est une région où la croûte terrestre s’amincit. En surface, un rift forme un fossé d’effondrement allongé, dont les dimensions peuvent atteindre quelques dizaines de kilomètres de large pour plusieurs centaines de kilomètres de long.

2 Selon l’Autorité de sûreté nucléaire, la centrale du Tricastin et ses quatre réacteurs de 900 mégawatts a été construite pour résister à un séisme de 5,2. Inférieur, donc, à la magnitude de 6,2 du tremblement de terre de Lambesc (Bouches-du-Rhône), le 11 juin 1909, à une centaine de kilomètres au sud-est.

3 Et avant utilisation, c’est-à-dire lors du stockage et du transport, un million de fois plus radioactive que l’uranium…

4 Comme le dit Anne Lauvergeon, la présidente d’Areva : « S’il y avait des EPR à Fukushima, il n’y aurait pas de fuites possibles dans l’environnement quelle que soit la situation. » Une affirmation qui n’est pas sans rappeler la pub du Japonais Tepco qui affirmait à la fin des années 1980 que ses centrales étaient les plus sûres du monde.

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8 commentaires
  • 20 juin 2011, 14:44

    Ca commence à me gonfler, tous ces articles qu’on trouve sur le web qui clament ces deux derniers mois qu’on est au bord d’un nouveau Fukushima partout : Fukushima imminent à Fessenheim, Fukushima imminent au Blayais, Fukushima imminent en Belgique, Fukushima imminent à Marcoule, Fukushima imminent à Monju, Fukushima imminent sur les bords du Mississipi, Fukushima par-ci, et Fukushima encore par-là... Oui, les installations nucléaires comportent des risques, et oui Fukushima est une grosse catastrophe provoquant un gros traumatisme dans l’opinion publique. Mais ça n’est pas une raison pour perdre le sens de la raison et crier sans cesse au catastrophisme désespéré. Un peu de sang froid, que diable !!!

    • 27 juin 2011, 23:05, par elfistpressles

      Moi ce qui me gonfle c’est de voir que certain croit que le nucléaire est un progrès, quel progrès de devoir stocker sous terre des déchets pendant des milliers d’année ? Où est le progrès, celui d’allumer sa télé 3h par jours ? Celui de laisser les immeubles/spots publicitaires allumer toute la nuit ? etc... A côté de ça des gens meurent de faim de froid, tant qu’on fera parti des privilégiés on avancera avec des Oeillères, cher monsieur

    • 12 septembre 2011, 19:18, par taratata

      Dis-donc pauv’tarte ! tu la vois où la panique , dans le texte ? T’es partisan de la tête dans le sable ?

    • 12 septembre 2011, 22:40, par Margoul Ain

      C’est vrais quoi un peut de sang froid que diable. Fichtre ! serons les dents ( si il nous en reste), vous reprendrez bien un peut de sang chaud Monsieur...? ...Que dis-je ?! Du sang bouillit, du sang cuit. Tien voilà du boudin, voilà du boudin, voilà du boudin du Tricastin...

  • 12 septembre 2011, 13:34

    12/09/2011 et voilà... aujourd’hui un four explose à marcoule. et oui, on est pénibles nous les alarmants alarmistes...

  • 12 septembre 2011, 14:27

    Ah ben zut alors, une explosion à Marcoule...

  • 12 septembre 2011, 14:53, par mira007

    je viens d’ apprendre qu’ une parti de la central de Marcoul viens d’ explosé !!!! cette information a était délivré LE LUNDI 12 SEPTEMBRE sur TF1 a 13h 15 tout les villages du département concerner son en alerte confinement l’information est passé la plus petite possible comme a l’ accoutumer on nous prend pour des c....s si vous avait CNN rensegne-vous !! on va nous faire comme TCHERNOBIL .........mais non c’est pas grave prenait les précautions d’ usages

    • 12 septembre 2011, 19:29

      La catastrophe est réelle, dont on peut déjà observer les dommages causés à l’orthographe.

  • 12 septembre 2011, 18:28, par Sandra

    Des gens meurent régulièrement au travail... dans l’indifférence la plus complète : http://vanessa-schlouma.blogspot.co...

  • 12 septembre 2011, 21:58, par chabian

    "ça commence à me gonfler" : effectivement ! Tchernobyl ne devait pas arriver. Bon, d’ailleurs c’est pour des raisons locales spécifiques, vodka et petites pépées. Three Mile Islands ne devait pas arriver. D’ailleurs il n’est rien arrivé, donc ne supputons pas ce qui aurait pu arriver. Même s’il est arrivé quelque chose. Fukushima ne devait pas arriver. Et ne dites pas : jamais deux sans trois, car il n’y a aucune série, rien que des exceptions. Oui, on sait, quatre centrales dont une à l’arrêt. ça ne fait qu’un cas, n’ergotez pas. Bref, il faut continuer à croire que l’accident est tout à fait improbable. "Sauf exceptions", c’est la seule nouveauté. Un détail de l’histoire ! Comme il ne devait pas arriver, il n’arrivera plus, puisqu’il est arrivé : c’est logique.

    Bon, il y a eu aussi Blaye, et Fleurus, et le japon et le brésil et le tricastin, et Saint-Paul-lez-romans, et les autres. Rien que des bazars sans série, sans importance, des détails vous dis-je !

    Donc oui, il y a des usines de la filière nucléaire partout. Mais c’est des emplois. Et si cela polluait, cela se saurait, et d’abord chez nous dans les ateliers. D’ailleurs il n’y a jamais eu de morts du nucléaire. En dehors de quelques détails.

    Bon, le nucléaire a été arrêté sans le dire durant 20 ans. Et à peine qu’on parlait de reprendre, certains arrêtent à nouveau et définitivement. Et alors ? ça les regarde, ce n’est qu’un détail. Et qu’on arrête de me gonfler avec les détails ! A quoi croire encore si pas au nucléaire, hein ?

  • 12 septembre 2011, 22:34, par bertrand

    Je m’inquiete beaucoup plus du couloir de la chimie un peu plus au nord. Les déchets de l’industrie chimique sont au moins aussi dangereux et leur durée de vie est infinie contrairement aux déchets radioactifs qui plus ou moins lentement deviennent inoffensif. La dioxine qui pollue les sédiments au fond du Rhone sera encore la dans plusieurs milliards d’années. Elle est inaltérable !

    Combien de mort à Bhopal par exemple. Combien de victime au final à Sévéso ? Combien de victimes à Toulouse ?

    Le nucléaire est dangereux, la chimie très dangereuse.

    Ensuite il faut aussi être cohérent, on ne peut pas avoir l’abondance énergétique et critiquer les rares possibilité de produire de l’énergie. Si vous êtes contre le nucléaire, résiliez votre abonnement EDF.

    • 13 septembre 2011, 10:49, par lecteur occasionnel

      « Ensuite il faut aussi être cohérent, on ne peut pas avoir l’abondance énergétique et critiquer les rares possibilité de produire de l’énergie. Si vous êtes contre le nucléaire, résiliez votre abonnement EDF. »

      Bonne idée justement, profitez-en depuis qu’EDF n’a plus le monopôle, pour accroître un peu la « demande » en énergies renouvelables en vous abonnant à Enercoop, Planète Oui, ou d’autres fournisseurs d’électricité qui s’engagent à injecter dans le réseau autant que vous consommez, mais uniquement en renouvelables. Ah, c’est plus cher ? En termes purement monétaire oui, un peu. Compensez-donc en changeant un peu vos habitudes « d’abondance énergétique » justement. En comptant dans la balance tout l’argent public dépensé pour soutenir le nucléaire, les frais de démantelement futurs des centrales, etc… déjà non. Et en ajoutant tout ce qui échappe au circuit financier (dont le droit de vivre dans un environnement sain sans risque pendant des milliers d’années, etc…), certainement pas. À vous de voir…

  • 12 septembre 2011, 23:48, par GdeC

    Malheureusement, jamais nous ne disposerons des moyens matériels, financiers et humains, et politiques, dont disposent les lobbies nucléaires en France ; Ne sont-ils pas intouchables au point d’avoir pu permettre au professeur Pellerin de s’en sortir malgré ses mensonges éhontés, lors de l’épisode de Tchernobyl ?

    http://gauchedecombat.wordpress.com...

    • 13 septembre 2011, 22:06, par Marc Houle

      Très bon article ! Merci de cette réflexion très intéressante. Contrairement à ce que pensent certains, ces propos ne sont pas du tout catastrophistes, mais tout simplement réalistes. Et comme disait un économiste dernièrement, le nucléaire est mort. Les investisseurs vont se faire rares dans le monde, c’est devenu tellement peu rentable...