Finance désenchantée

Magie noire & billets verts

Avec humour et esprit, le podcast Glossaire de la finance et de la sorcellerie révèle comment les nouveaux sorciers, en costume trois-pièces et cravates ajustées, manipulent le jargon ésotérique de la finance moderne pour marabouter les simples mortels que nous sommes.

Avis aux âmes égarées qui croient encore que la finance est une affaire trop sérieuse pour y mêler vaudou et sorcellerie : détrompez-vous ! Réalisée par le collectif Désorceler la finance1, l’émission Glossaire de la finance et de la sorcellerie est diffusée sur les ondes libres de Radio Panik depuis janvier 20242 et lève le voile sur cette troublante vérité : les sorciers d’aujourd’hui portent des cravates et scrutent l’avenir à travers courbes et graphiques. « Il suffit qu’un macro-économiste dise “3 %”, et des hôpitaux ferment à l’autre bout de l’Europe, qu’une agence de crédit dise “à moi, avec perspectives négatives sur la dette souveraine” et les portions de purée pour les vieux dans les homes [Ehpad] sont réduites. » Mais quel est ce maléfice ?

Laboratoire sauvage de recherches expérimentales bruxellois, Désorceler la finance rassemble toutes sortes de créateur·ices travaillant à vulgariser les rouages de l’économie et, par le biais de cette série documentaire sur « le grand pouvoir des mots », entend bien conjurer le sort. Avec la voix des sans-voix, de militant·es et d’activistes, de travailleur·ses et de chercheur·ses en sciences sociales, chaque épisode remanie le grimoire des termes qui oppressent et qui écrasent. Rentabilité, performance, compétitivité… Nous sommes, tout entiers, pris dans cette mythologie du capitalisme financier qui conditionne notre regard, modèle nos pensées et guide notre action. Pour neutraliser le pouvoir de sa langue, l’empêcher d’infiltrer à ce point nos existences, la première étape consiste à l’attraper par le bout de nos existences.

Les cinq épisodes traversent tour à tour des champs de nos vies dans lesquels la finance a investi : le logement, la vieillesse, l’alimentation, la santé et le travail. On y croise des investisseurs azimutés, des « patatistes » en lutte (militant·es de la zone à patates), des « soi-niant » (soignant·es en souffrance), des banquiers dopés aux profits, des journalistes économiques surexcités, des seniors drôles et décalés. La langue de l’économie, qui jusqu’ici échappait aux non-initiés, est ressaisie, triturée, inversée, détournée, moquée, et finalement révélée pour ce qu’elle est : argot et incantation d’un « âge sinistre qui élève en vertu, la trivialité et l’indécence du capital ». Sorts et sorciers ne font dès lors plus illusion. « La toile de la finance repose sur des envoûtements qui transforment […] le bonheur des gens et la santé des corps en marchandises, les marchandises en profits, et les profits en villas détenues par les sorciers de la finance que sont les traders, les gérants de edge founds et les banquiers. » À cette étape du processus de désenvoûtement, il ne nous reste plus qu’à retourner le maléfice à l’envoyeur. Point de chasse aux sorcières ! Le Glossaire de la finance et de la sorcellerie construit, au fil des épisodes, un nouvel édifice sémantique qui nous invite à redéfinir le pouvoir, non plus comme un joug, mais comme une puissance de libération et de création. Réjouissante façon de retrouver des forces !

Par Gaëlle Desnos

1 Plus d’informations sur leur site : desorcelerlafinance.org.

2 Les épisodes sont disponibles sur leur site : radiopanik.org.

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