Cap sur l’utopie !
Les lâches seuls travaillent*
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Alexandre Chayanov : pour un socialisme paysan , éd. Le Passager clandestin, collection Les Précurseurs de la décroissance.
Avant d’être zigouillé par la police politique soviétique en 1937, l’économiste agraire Chayanov jette les bases d’un développement méthodique de « l’exploitation paysanne à base familiale » en envoyant à dache les catégories clés du capitalisme (salaire, intérêt, rente, profit) et la vision léninisto-stalinienne du prolétariat rural bureaucratisé. Pour lui, les croquants constituent en soi une classe autonome et stable, quasiment autosuffisante, sur laquelle la vraie révolution coopérativiste anti-kolkhozienne peut se fonder.
Dans sa préface, Renaud Garcia, le fricasseur de l’excitant Désert de la critique (L’échappée), crée la surprise en nous révélant que le même Chayanov était aussi un fougueux romancier utopiste. Dans Le Voyage de mon frère Alexis au pays de l’utopie paysanne (1920), il nous propulse dans la Russie de 1984 où le socialisme prolétarien productiviste a laissé place à un joyeux éden paysan et où le rôle de l’État ne consiste plus qu’à organiser son propre effacement. Attention ! Il faut un peu déchanter. Car huit ans plus tard, Chayanov sortira une autre utopie futuriste, Possibilités de l’agriculture, dans laquelle il spéculera sur « une agriculture industrielle, hors sol, servant des humains augmentés par la technique ». Renaud Garcia précise que le lascar exprimera tout de même quelques réserves sur cette « imitation d’État du capitalisme » qu’il met en avant dans ce second texte.
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Éducation populaire : une utopie d’avenir , collectif, éd. LLL.
Présentant péteusement l’éducation populaire comme « l’une des utopies les plus exaltantes des Lumières », cet ensemble bigarré se mordant souvent la queue, préfacé par la grotesque ministre Valérie Fourneyron, contient quelques pages chouagas, surtout quand le très incisif Franck Lepage s’en mêle. Quand on nous rappelle, par exemple, que l’éducation populaire peut être une façon de « mettre radicalement en cause les logiques de distinction, de classement et de hiérarchie qu’incarnent traditionnellement le goût des beaux-arts », qu’elle peut être un « art de résister à l’occupant », qu’elle peut être un moyen de révoquer l’asphyxiante culture bourgeoise dès que « tout le monde s’autorise à monter sur scène », qu’elle peut être un détonateur allumant « l’imagination dont nous avons besoin pour ne pas nous résigner à la servitude ».
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Refaire le monde… du travail , Sandrino Graceffa, éd. Repas.
Dans la collection Pratiques utopiques des éditions Repas, les visées de Refaire le monde… du travail de Sandrino Graceffa, dirlot de la Smart, s’avèrent nettes comme balayette. Au début des années 1980, « au sein de la génération post-punk, nous étions nombreux à penser qu’il était possible – et même souhaitable – de vivre sans travailler ». Il fallait se libérer du travail. Mais aujourd’hui, ventre de bœuf !, on se rend compte macronequement que « le travail est réellement structurant, en dehors même de toute considération économique ». Que « ne pas travailler est une source de mal-être ». Alors les murs blêmes de nos prisons quotidiennes, repeignons-les avec des couleurs psychédéliques. « Créons de l’emploi. » « Mutualisons nos forces. » « Réconcilions les différentes formes de travail et de travailleurs. » Promouvons une « économie collaborative non prédatrice ». Et gare aux anti-travailleurs déchaînés qui risquent d’empoisonner de plus en plus notre affligeante existence.
* Slogan des grévistes de l’usine de Dion (Puteaux, 1906).
Cet article a été publié dans
CQFD n°155 (juin 2017)
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Paru dans CQFD n°155 (juin 2017)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 26.11.2018
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