Kae Tempest l’a souvent dit : une tempête est en approche, gronde à l’horizon – « There’s a big storm rolling in ».
Kae Tempest, rappeur, poète, anciennement Kate Tempest [1], grande voix imbibée de gouaille et de rage, dressée contre tous les binaires, est lui-même un orage – sa bouche, une foudre.
Kae Tempest écoute les villes tomber et grignote le vide par la racine, s’enflammait-on éhontément dans une chronique publiée chez les aminches de Jef Klak.
Kae Tempest sort des albums fous à l’image de Let Them Eat Chaos, élégie à la gloire d’un Londres tournant sur lui-même comme une toupie dépressive et insomniaque, ses habitants balbutiant We are lost, we are lost, we are lost en se gavant de Kétamine & chips.
Kae Tempest tisse des recueils de textes fous, comme Les Nouveaux anciens, où les Dieux sont enfin comme nous : de foutus paumés.
Kae Tempest bonjour.
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« Aux temps anciens
les mythes étaient ces histoires qu’on utilisait pour se raconter.
Il y a toujours eu des héros
et toujours des méchants,
les enjeux peuvent avoir changé
mais rien n’est si différent.
Il y a toujours eu de l’avidité, du chagrin et de l’ambition,
du courage, de l’amour, du péché, de la contrition
nous restons ces mêmes êtres des commencements, vivant toujours dans notre fureur, dans notre crasse et nos frictions, des
odyssées quotidiennes, des rêves, des décisions...
Les histoires sont là si tu y prêtes attention.
Les histoires sont ici,
les histoires sont toi,
et ta peur
et ton espoir
est ancien
comme les signaux de fumée.
Les dieux sont tous là,
Car les dieux sont en nous.
Les dieux sont au PMU
les dieux sont au café
les dieux font des pauses clope là-derrière
les dieux sont au bureau
les dieux sont dans l’allée en train de rire
_les dieux sont chez le médecin
ils ont besoin d’un petit truc contre le stress
les dieux sont au supermarché
les dieux rentrent chez eux à pied,
les dieux ne peuvent pas s’empêcher de zoner sur Facebook
les dieux sont dans un embouteillage
les dieux sont dans le train
les dieux regardent la pub
ils ne sont pas coupables
ils travaillent pour la mairie
puis les voilà au chômage
les dieux sont dans leurs jardins avec leurs terrasses et leurs plantes
les dieux sont en classe, les pauvres, ils n’ont aucune chance
ils essayent de dire la vérité, mais la vérité est dure à dire
les dieux sont nés, ils vivent un temps et puis ils vont mourir. »
Les nouveaux anciens, L’Arche, 2017, traduction D’ De Kabal & Louise Bartlett
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Précédents épisodes Vox Poetik :
#1 : « Je crache sur votre argent en chien de fusil » (Gaston Miron)
#2 : Le toast de l’ami italien (Erri de Luca)
#3 : « Aux personnes qui me merveillent » (Valérie Rouzeau)
#4 : « Des têtes de fromages de tête » (Jacques Prévert)
#5 : « Paix sur la terre aux pommes de terre » (Brigitte Fontaine)