Ma cabane pas au Canada
Les Faucheurs de chaises font le siège
Les bacchantes hérissées comme Vercingétorix au seuil d’Alésia, Christian tourne tel un lion en cage : « Tout est minuté », me confie t- il en douce. Valérie présente quant à elle les saynètes prévues : « Une assemblée citoyenne scandera : ‘’Stop Évasion Fiscale !’’ » L’assemblée ressemble au premier étage d’une maison de retraite. Je suis dubitatif quant à la possibilité qu’ils ont de braquer une banque, armés de chaises. Pourquoi pas des pliants ? Qu’importe, ils ne doutent de rien. Raphaël les briefe sur le scénario minuté qui doit se dérouler dans une heure, au sein d’une banque dont le nom est encore tenu secret. Fin limier, j’ai déjà eu le tuyau : la veille, un correspondant anonyme m’a appelé et donné un rencart dans un bar… près d’une banque.
Bernard est désigné pour le rôle du banquier. Sous un vêtement noir et avec sa tête d’endive, il fait très Berlusconi, en moins adipeux cela dit. « Engie voleur ! Hollande complice ! » s’époumonent les voix pituitaires des soixante braqueurs cacochymes. « Pourquoi pas “État complice” ? » demande un participant. Ben tiens, ça va lancer une polémique sans fin, je le sens… Les pour, les contre, les sans-opinion, les sans-opinion mais bon…, les pour mais contre la virgule : un bureau politique de la LCR, quoi ! Ben non, rien, « kékispasse » ? Ici c’est Attac, la plus vieille assemblée citoyenne de France, qui réunit autant d’ex-profs de maths communistes retraités que d’ enseignants retraités gauchistes. Attac c’est la MGEN au complet, pilotée par des syndicalistes anars valétudinaires. Pour qu’ils se réunissent à soixante un mardi après-midi, il ne faut pas être grand clerc pour situer leur année de naissance plus près de l’appel du général de Gaulle que de la pelle de ton marmot.
Je questionne l’un d’entre eux sur ce nombre impressionnant. « Hein ? », me dit–il tournant ses feuilles vers moi. Nouvelle tentative mais personne n’entend très bien ici. Certains récupèrent leurs cannes, d’autres cherchent leurs fauteuils roulants. La troupe s’avance, brinquebalante, en ordre de marche. Raphaël, le chef des conjurés, ajoute : « Inutile de vous promener avec vos tee-shirts Attac 100 % équitable dans la rue ! » Le militant syndicaliste me souffle : « Je suis en mission spéciale, l’envoyé de Solidaires » ; « à 15h28 vous n’êtes plus des passants… », ajoute Pierre, expert en castramétation. Un primo manifestant me glisse : « C’est vraiment très organisé. »
Un protestataire apostrophe Christian, le témoin syndicaliste : « C’est toi qui chantais pendant la loi travail ? » Comme si c’était un reproche d’être gai en manif. « Affirmatif », répond l’effronté. Les militants sont alors prêts à en découdre et donner des chaises à la BNP Paribas rue Saint-Ferréol. Si l’action est secrète, dans la précipitation, je récupère le plan détaillé de ces cambrioleurs d’opérette.
En route, mauvaise troupe ! Raphaël rappelle les dates de soutien des militants en procès pour des vols de chaises dans les banques en 2015. Début décembre, de grandes actions coordonnées vont avoir lieu sur tout le territoire, et si tout le monde passe les fêtes de Noël, un car partira le 9 janvier à Dax. Et pas pour une cure, devrait-il ajouter.
Une demi-heure plus tard, le troupeau d’élite arrive rue Saint-Ferréol et se précipite dans l’agence BNP. C’est la consternation chez les vendeuses de crédits foireux et de découverts à la conso. Le directeur de l’agence sapé comme jamais en costume gris est bousculé comme un loup sans ses petits. De la part d’un lycanthrope, plus rien ne nous étonne. Il s’agite, il s’excite et tente de fermer le rideau de fer. Les militants s’y opposent et s’installent alors sur leurs chaises. Ça gueule de partout et dans la rue les slogans sont distribués à la volée. On préfère être dedans, rapport au mistral, qu’à l’extérieur. On dira ce qu’on veut, que les banques sont des voleuses, qu’elles prennent aux pauvres pour donner aux riches, qu’elles investissent dans l’extraction de charbon, qu’elles planquent le pognon des mafias russes en Suisse et des ploutocrates suisses en Russie, d’accord, mais la BNP n’est pas radine sur le chauffage. La clim est au max et c’est un record d’affluence dans le hall de l’agence. La caissière déballe la même tête que lorsque nous avons découvert la tête de Trump, élu premier con de l’Univers. Les refourgueuses de crédit filment la scène avec leurs Smartphones dernier cri. Le directeur s’offusque : « Vous êtes prêts à casser ! » s’écrie-t-il, essayant de se convaincre tout seul. Il accuse les militants d’empêcher un brave client de rentrer dans sa banque alors que celui-ci ne faisait que chercher son chemin. En face, un ouvrier batave félicite les donneurs de chaises : « It’ very good. Che respekte lé démonstraichen contre les bénques. » une dame traînant un caddie est pour sa part satisfaite : « J’ai quitté ces voleurs il y a vingt ans. Je suis allée à la Poste. » Malgré son management de brute et le suicide de ses agents, la Banque postale conserve encore un capital social. Il y a encore du boulot pour le message…
Bien calés sur leurs chaises, les membres de la cohorte antique contemplent le slogan publicitaire de la BNP : « La banque d’un monde qui change ». D’un monde qui schlingue, tu veux dire ?
Cet article a été publié dans
CQFD n°149 (décembre 2016)
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Paru dans CQFD n°149 (décembre 2016)
Par
Illustré par Charmag
Mis en ligne le 12.08.2019
Dans CQFD n°149 (décembre 2016)
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