Aïe Tech #19

Le sel d’Internoche

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Dix-neuvième épisode, plus « léger », qui s’attelle à l’affaire Josiane Pichet, adepte hallucinée de la « danse en forêt », mais malheureusement trop absurdement parfaite pour être vraie.
Tik Tok et Josiane Pichet

Les vidéos TikTok se succèdent, toutes plus troublantes et poilantes que les autres. Une dame enjouée, attifée de robes étranges, de joggings roses hideux (avec bandeau assorti) ou de masques chamarrés se contorsionne dans la forêt. En voix off, des commentaires perchés, expliquant sa démarche née d’un burn-out professionnel et d’une sombre histoire d’agrafeuse piquée par un collègue depuis décédé (assassiné ?) : « Je m’appelle Josiane Pichet, professeure de danse de forêt. J’ai mélangé mes trois passions dans un seul art, la danse, la forêt et la solitude. » Sur une autre vidéo, elle fait de la « salsa de forêt », munie d’une pastèque bio pas trop mastoc, conseille-t-elle : « Elle ne doit pas faire 10 kilos non plus », car sinon bonjour la galère. Ou alors elle se dandine devant un vieil arbre mourant, avec toujours cette voix off appelant à pratiquer la danse de forêt pour « cultiver la déconnexion sociale, culturelle et administrative afin de pouvoir bénéficier de tous vos points de contacts avec vos chakras ».

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Son compte TikTok créé début mai et doté de 12 vidéos n’a pas tardé à exploser. Mi-mai, il comptabilisait plus de 10 millions de vues, assorties de commentaires oscillant entre sarcastique et admiratif. Et puis fin mai la nouvelle est tombée suite aux investigations d’un compte Instagram nommé @hannawolfphoto : tout ceci était un fake, un certain Julien Kehl, assistant social, ayant détourné ces extraits de vidéos pour faire marrer ses potes, avant que la situation ne lui échappe. Pour ingrédients, les véritables images d’une danseuse tchèque adorant se trémousser en forêt (Ivana Jungová, qui s’est dite ravie de la publicité ainsi créée) et une voix off composée grâce à une application nommée Clony IA, utilisant la voix de… Christine fucking Boutin.

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Alors voilà, gars, meuf, c’est le printemps, je suis jouasse, Gaudin est mort (cheh !), les cormorans de Malmousque sont plus magnifiques que jamais, c’est l’annif de l’amie Cécile K. et on va se la coller sévère, et j’ai pas envie pour cette chronique Aïe Tech de continuer à creuser l’horrible gouffre du néant numérique. Ni de penser à tout ce que cette affaire révèle de flippant si on la creuse. Mais plutôt pour une fois de mettre en avant ces petites pépites de détournement qui font aussi le sel d’Internoche et des réseaux sociaux : les mèmes drolatiques, les GIF pourris, les forums d’adorateurs de littérature dino-érotique, le succès du hashtag #JeChieDansLaSeineLe23Juin… Et la voix de Josiane Pichet/Christine Boutin me glissant des conseils plus que judicieux au moment où mon citronnier adoré se meurt : « Je vais vous apprendre comment revitaliser vos plantes et vos arbres grâce à la danse de forêt. Là je revitalise mon châtaignier à l’aide de mouvements inspirés par le cycle lunaire des grandes marées de l’Est parisien. »

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Mais promis, prochaine chronique, on replonge dans le dark Aïe Tech, le vomi numérique vampirisant le monde, avec l’enthousiasme de l’opossum découvrant que la pizza si alléchante qu’il vient de dégotter au fond d’une poubelle est en fait un jouet pour chien, pouic pouic, youpi youpi.

Par Émilien Bernard
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Cet article a été publié dans

CQFD n° 231 (juin 2024)

Dans ce numéro de juin, on écoute le vieux monde paniquer. On suit les luttes des personnes trans pour leurs droits, on célèbre la mort de Jean-Claude Gaudin, et on s’intéresse à la mémoire historique, avec l’autre 8 mai en Algérie. Mais aussi un petit tour sur la côte bretonne, des godes affichés au mur, de la danse de forêt et un aperçu de l’internationalisme anarchiste. Bonne lecture !

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